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    Au milieu du monde
                                                                                            © L'oeil du Krop

     

     Non, je ne pensais pas parler (reparler) du viol et de ce qui y touche. Même si, plutôt que le mot viol, je pensais au mot accolé qu'il m'évoquait immédiatement : pouvoir. Force aveugle (voire !) de celui qui décide. Viol du corps ; viol de l'esprit aussi, de la conscience. Violer quelqu'un/e, c'est l'habiter comme un crabe -cancer- qui s'installe dans votre corps d'abord, puis dans votre cerveau comme une tumeur virtuelle mais réelle. Non je ne pensais pas que ce sujet viendrait sous ma plume. Et puis il y a eu cette esclave (des hommes, des réseaux, de la religion, de la pauvreté, du monde ...) sur la route, à la bretelle de la Porte de Bercy. Et c'est le mot viol qui m'est apparu, oui, viol de la vie, de toute façon.
    Alors oui, j'ai envie de la ramener un peu, moi aussi, pour dire la confusion, la rage et le trouble ; ce qui me passe dans l'esprit, succinctement, à propos de ça.

    D'abord sur cette expression : Balance ton porc ! Ça peut paraître étonnant venant de moi qui les aime (ou peut-être est-ce pour ça, justement) mais j'ai parfois bien du mal avec les mots : je fais attention à ce qu'ils induisent, j'aime quand ils sont précis, je ne les dis pas à la légère, et toutes ces choses. Par exemple, je n'aime pas cette insulte de porc : mal aimé, le porc est une bête qui n'a pas la saleté et la bêtise qu'on raconte, et c'est faire bien d'honneur aux connards dont on parle que de les comparer aux cochons (chez qui, par ailleurs, tout est bon...). Quant à balancer, oui, je balance. Je ne sais pas s'il faut dénoncer nommément, je n'ai pas suivi d'assez près pour savoir ce qui s'est dit là-dessus, et de toute façon je suppose que c'est la justice qui, quand il le faut, suit. Mais ce terme, balancer, pour dire "dénoncer", m'a toujours mise mal à l'aise, et cela contrairement à la majorité ou telle que je la ressens dans les films et dans le discours réel. Et là vous comprenez bien que je m'éloigne du viol à proprement parler, que je suis plus générale. Il ne faudrait pas dénoncer. Il ne faudrait pas être une donneuse (notez au passage que dans le registre qu'on souhaite péjoratif on n'est pas un donneur, mais une donneuse... le mal ne vient pas des mâles...) Une donneuse de quoi ? De vérité ? Il ne faut donc pas dire la vérité ? Il ne faut pas dénoncer celui qui tabasse son gosse, sa femme ?  Il ne faut pas dénoncer celui qui commet des actes mettant en danger les gens et le (bien-)vivre ? C'est mal ? Ça ne nous regarde pas ? Ce ne sont pas nos oignons ? Bien sûr que si ce sont nos oignons. Le monde commence à notre porte, ce que j'appelle le monde citoyen. On est responsable des autres, aussi. Ouais, je sais, on va me dire que c'est comme ça qu'on envoie les gens en déportation ; je prétends moi le contraire, c'est en donnant des mauvais exemples ou des exemples extrêmes qu'on gâte le problème. On extrêmise toujours. La juste mesure c'est de suivre les règles qui régissent la vie libre de celles, de ceux qui ne font de mal à personne. Et quitte à passer pour facho, oui, je rouvrirais bien le bagne de Cayenne, et oui, j'y enverrais bien les terroristes et les maffieux, ceux qui brisent la vie des autres (et en plus, s'en glorifient !) Simpliste ? Si vous voulez ; alors quoi, on fait quoi... en aval ?

    Mais revenons à notre viol, là, plus précisément, celui qui enferme les corps et souille les esprits. Ce qui me frappe
    c'est ce silence des victimes, tant qu'une seule voix ne s'est pas libérée. Qu'est-ce qui fait qu'on peut se sentir coupable de quelque chose, quand on a été agressé/e de la sorte ? Qu'est-ce qui fait qu'on se force à oublier, et qu'on fasse comme si on l'avait fait ? Il y a quelque chose d'autre qui me trouble énormément, et tant pis si vous me jugez bizarre de poser une question pareille. C'est quelque chose à quoi je pense en particulier dans les pays en guerre, quand on nous rapporte les viols en série de femmes. Ennemies, donc ! Qu'on hait, donc ! Est-ce qu'on ne hait pas ses ennemis ? Je sais que l'être humain est complexe mais comment peut-on avoir envie sans en être dégoûté d'avoir des relations si proches de peau, de contact de muqueuses personnelles avec quelqu'un qu'on ne supporte pas ? Je peux -cérébralement parlant- "comprendre" la violence, même sexuelle, sans la peau, mais avec la peau, le contact avec ce qui devrait les répulser, cette proximité si intime, je ne comprends pas.

     

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    Destaye, mariée à 11 ans ; Éthiopie           Tehani, mariée à 6 ans ; Yemen         Galiyaah (13), Sidaba (11), Khawlah (12) ; Yemen

     

    Au milieu du monde

                           

    J'hésite à parler du viol institutionnalisé de filles quelquefois même pas pubères qu'on marie de force, qu'on vend, qu'on échange. J'ai quelques (autres) images (encore plus) douloureuses là-dessus, vues dans une expo, de filles torturées, abîmées (un nez coupé, par exemple) à cause de l'audace de dire non, de se rebeller. J'hésite à raconter les saloperies verbales de passage, gratuites, provocatrices (un jour sur un quai, une jeune racaille s'assoit à côté de moi et il me demande tout à trac : Vous aimez baiser madame ?) J'hésite à parler d'attitudes plus floues (de la part de victimes -jeunes, inexpérimentées- pas du prédateur) et qui rejoignent l'article que j'avais écrit une première fois, de ces comportements où le viol n'est pas sauvage, mais progressif, où il devient presque logique : le type est gentil, vous lui plaisez (croyez-vous), vous seriez presque flattée de plaire, et les évènements s'enchaînent, vous n'avez rien décidé et vous n'en avez pas envie mais vous vous laissez faire avec ce sentiment confus que sinon, vous allez vous faire traiter d'allumeuse, voire de conne. Et connement, précisément, vous sauvez les apparences, vis-à-vis de vous-même, vous... vous justifiez. Ensuite ? Ensuite, vous enfouissez. Ce serait trop difficile, sinon, de se supporter. Complexe, le cerveau ? C'est le moins qu'on puisse dire. Alors en ce jour, quels que soient les débordements, je salue le courage de celles (de ceux, aussi) qui, je l'espère, tentent de retrouver par ce qu'elles disent, enfin, un peu de leur intégrité.

     


    Ten Years After, I'd love to change the world (version Youtube ICI)

     

    Une version en noir et blanc de la première photo est visible ICI

     

    Les photos-témoins proviennent d'une expo que j'ai vue il y a trois ans, intitulée : Too young to wed ("Trop jeunes pour se marier") ; elle était proposée (je ne connais pas le nom des photographes) par l'UNFPA et VII Photo Agency (with Union H2) : je ne sais absolument pas ce que cela signifie mais désolée, c'est tout ce que j'ai. Vous pourrez sans doute en savoir plus, si ça vous dit, en consultant le Net.

    Post scriptum : je reviens sur l'article terminé pour partager avec vous quelque chose sur lequel j'aimerais avoir votre sentiment. Parce qu'on finit par se demander si c'est soi qui... Voici : samedi soir en zappant avant d'aller me coucher, je tombe sur l'émission de Ruquier et je m'arrête un peu parce qu'il y a Anny Duperey à l'écran : je l'aime plutôt bien et elle parle de son enfance et de photographie, deux sujets qui chez moi hmmm... ! Bref, je regarde et elle montre une photo d'elle à quinze ans, magnifique, en maillot de bain, au soleil sur des rochers. Yann Moix fait alors ce commentaire -gentiment- : "Si je vous avais connue à ce moment-là, je serais encore en prison", avec un petit sourire mi-connivence mi-flatteur. Sur le coup je n'ai pas réagi, je l'avoue, et personne non plus sur le plateau. Sauf que je me suis dit après-coup : "C'est quoi cette remarque !" Il n'a pas dit : "Vous étiez vraiment belle (jolie... craquante ou autres)" ni "je vous aurais fait la cour (ou "draguée à mort" ou autres), non, il a dit qu'il serait en prison, autrement dit, euh ... qu'il l'aurait violée, non ? J'exagère peut-être, sans doute, je me fais des films, je ne comprends pas les seconds degrés, je suis influencée par l'air ambiant, je ne sais pas ; je suis pas bégueule, mais j'avoue que ça me gêne. Ce qui aurait été drôle, c'est que l'actrice lui demande sur le même ton souriant : "Pourquoi, vous m'auriez violée ?" (sous-entendu, d'ailleurs : sans me demander mon avis ? car en cas de consentement, même à cet âge, pas de plainte, je suppose...) En tout cas, je suis troublée, et par son attitude, et par la mienne, et j'aimerais que vous réagissiez sur ce point, si vous voulez bien.

     


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