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    L'étrangère

    Sortir du champ

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

       

      Soudain, je me suis mise à penser à Camus et à son personnage meurtrier, Meursault ... non mais franchement quelle idée de l'appeler comme ça, du nom bourguignon d'une ville réputée vinicole, où par ailleurs fut tournée la Grande vadrouille, rien à voir mais ça me revient, j'ai des strates dans mon cervelet, ça fait des couches de crème grise, beurk ! ... quand je vois rougir ma tro-gneu ... vous imaginez le personnage parler en roulant les r. Du tragique transformé en burlesque ... l'aurait sans doute pas aimé, Albert, que je fasse de son pied-noir un nez-rouge ! ... je me mis donc à penser à lui tandis que revenant du petit magasin d'alimentation, près de chez moi, je marchai quelques instants sous un soleil de plomb, tandis que des clignotis angulaires lumineux obscurcissaient brusquement ma vue, troisième aura en cinq jours. L'étranger ressenti, en bribes, des années après. Un dysfonctionnement du crâne, des nerfs, du corps, sous une lumière aveuglante, et l'envie d'arrêter le mal-être, la gêne, la cécité de la réalité, en faisant n'importe quoi, les bras devant pour chasser les taches, pour bannir tout ce qui encombre, alors pour tuer, pourquoi pas ; effacer, effacer le trop-plein.  Je divague bien sûr ... la sensation vécue ne me ferait pas tuer quelqu'un, mais j'ai vraiment cru comprendre un instant ce que l'écrivain avait voulu signifier par là, l'importance du contexte, extérieur, intérieur. Le terrain du crime.

      Dans l'ascenseur, l'aura, ronde, restait de petite circonférence et ça m'inquiétait ... car pour qu'elle disparaisse et sorte du champ, il faut d'abord qu'elle grandisse et se disloque ... je sais que j'en ai maintenant pour vingt minutes quand ça m'arrive ... et j'ai beau savoir qu'a priori c'est un phénomène connu, partagé, je me demande  pendant ces longues minutes -allonge-toi, calme-toi, respire doucement, attends !- s'il n'y aurait pas autre chose, et puis, aussi, des pensées noires tournent sur mon écran interne ... science-fiction ... et ces petits bouts de créneau qui se tortillaient comme des fils électriques vivants évoluant dans un bain de paramécies sous microscope ... Oui, je sais, c'est fou et impressionnant, ce que je vous raconte là, mais je vous l'ai dit, c'est pô grave, il suffit de le savoir ... bad trip sans acide ... le film sans payer la séance ... bon, ça secoue un peu, comme après un coup de poing ... un peu de vertige et du vague à l'âme ...

      J'ai écrit un jour sur la migraine. Mais après l'aura, je n'en ai pas, parfois un vague commencement de mal de tête, jamais la douleur épaisse que j'ai tant fréquentée jadis. Ces épisodes me donnent une conscience aigüe de notre fragilité. D'autant que j'ai toujours pensé que je périrais par la tête. Ils me donnent aussi conscience de notre force ... faut-il qu'on soit solide pour que nos tuyauteries tiennent, malgré tout, avec ce qu'elles vivent !

     


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