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    Reprise

     

      Il était six heures et je me suis éveillée. Le mécanisme des corps a des ressorts insoupçonnés. Reprise de fils rafistolant les échancrures des vacances et les trous des absences. En contrebas de ma ville dans le monde du travail c'était le branle-bas de combat. Au moins celui des véhicules de tous genres roulant sans interruption dans les rues et sur cette portion d'autoroute rejoignant le périphe. Quelle vie avaient donc tous ces gens qui, avant potron-minet, étaient déjà en pleine agitation obligatoire pour gagner ou tenter de le faire leur pain quotidien ? Je me mis à sourire toute seule : le pain quotidien m'évoquait la religion, et je tentais depuis un certain temps d'extraire de mon vocabulaire les termes appartenant au domaine : foutreciel, c'est qu'il y en a une blinde.
    Par la fenêtre scintillaient encore aux poteaux du pont les boules bleues des fêtes. J'ai toujours trouvé ça ridicule de garder encore un peu ces décos qui n'ont plus lieu d'être une fois qu'on a passé un nouveau seuil annuel. En plus, autant j'aime le bleu, dans certains contextes, autant il  me paraît froid, presque incongru, quand il est lumière artificielle.

     

    CoutureCouture

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    La veille, j'avais démonté (descendu plutôt) le
    sapin, fière de moi qui, laxiste, suis déjà parvenue à le garder par paresse jusqu'à presque Pâques. Ma vie est un effort constant ... chacun son Everest, disait une pub, et fille de plaine, la moindre colline me donne le vertige. J'ai pris tout mon temps pour défaire les boules argentées, dorées, rouges. La lenteur, quand elle est possible, est mon luxe, et je l'assume de plus en plus. J'ai fait le bonheur du vieux chat malade fasciné par le va-et-vient des brillances de l'arbre au saladier où je déposais les fragiles objets. Dehors, ce matin, le rouge et le doré supplantaient largement les frêles boules bleues urbaines qui s'éteindront quand s'ouvrira le jour.

    Je me suis installée quelque temps, celui du café et de la tartine, devant la télé. Mais arte animaux du matin ne me faisait pas rêver, ce n'était pas une encore nuit où j'avais envie de voir, par-dessus les toits, passer les oies sauvages, alors j'ai zappé en ne tombant que sur des conneries et des infos sans intérêt ni vérité en exergue, puis fermé. Forçant la saison, je suis allée, le cou protégé par une énorme écharpe, fumer un bout de clope sur la terrasse froide, comme si c'était un matin d'été. Une fois de plus, j'ai remercié une bonne étoile me permettant de prendre un peu de temps vacant avant de continuer la journée, à sentir sur moi le froid donc la vie, aussi, et m'offrant le privilège insensé de pouvoir sourire, là, simplement, quelques instants, sans arrière-pensées noires, avant l'interstice du jour et de sa lumière.

     

    Couture

                                                                                       © L'oeil du Krop

     

    Post-editum : quand même, cette musique-là ...

     


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