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    Jardins

    En ce jour de fête des pères, je veux me souvenir de mes deux parents. Dans les moments où ma mémoire les revoit -les imagine ?- toujours ensemble : le jardin.
    Je me souviens d'eux, penchés vers la terre. Je me souviens de tant de choses, sous le soleil ; on ne peut pas jardiner sous la pluie, enfin je ne crois pas. Ils y restaient des heures entières, et cultivaient toutes sortes de légumes et de fruits. Aussi ai-je envie d'évoquer quelques-uns de ces souvenirs-là, en vrac, comme ils me viennent ; ils vous en rappelleront peut-être quelques-uns, à vous aussi, si vous avez vécu un tant soit peu à la campagne.
    Je me souviens des giroflées orange et grenat, qui sentent le pain d'épice : ma fleur préférée, qu'hélas on ne trouve que domestique, et jamais chez les fleuristes, je ne sais pas pourquoi. Cette odeur-là, cette flamboyance-là est sans doute l'odeur-madeleine de mon enfance.
    Et je me souviens des dahlias, partout le long du chemin de plants, et dont je n'aimais pas la forme, ronde ou pointue, mais qui tenait si bien dans les vases. Je voyais des personnages dans chaque pétale, comme on en voit dans d'autres fleurs, comme les coquelicots.

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    Je me souviens du petit lilas couleur lilas devant la maison. Je n'osais pas faire un bouquet de peur d'abîmer l'arbre, parce que chaque tige me semblait être une branche et que j'avais l'impression de lui faire mal.
    Pas très loin, un parterre en gerbe de pivoines roses restait indemne : elles s'ouvraient vite, elles perdaient trop rapidement leurs pétales et je préférais que ce soit dans l'herbe plutôt que sur mes étagères. Je crois bien que c'est non loin de là qu'on avait enterré notre brave chien de l'époque, Charlie.
    Les roses trémières m'intriguaient jusqu'à me faire frissonner quand elles étaient remplies de pucerons ; je déteste toutes les petites bestioles.
    Le même frisson me parcourait quand je me forçais, près du robinet, à regarder la cavité carrée à côté, où l'on voyait souvent un crapaud ... un pauvre crapaud couleur de terre verdâtre ...
    Les fleurs ? Je ne me souviens pas d'autres. Des tulipes ? Peut-être chez ma grand-mère. Ou plutôt si, une tulipe dite noire, et que je fus déçue de ne voir que violette.
    Je me  souviens des couches, où étaient plantées des salades-bébés, que je n'ai jamais revues nulle part depuis, dont je n'ai jamais retrouvé la  saveur dans aucune autre salade.
    Je me souviens du persil frisé que ma mère m'envoyait chercher pour la  cuisine. Il y en avait des rangées entières.
    Des tomates qu'on passait à peine sous l'eau en essuyant le peu de terre qui y restait accrochée et qu'on croquait, tièdes, avec le jus qui nous dégoulinait au coin des lèvres.
    Tièdes aussi dans le soleil, les fraises, et mieux encore, les framboises, à hauteur de mains ; on ne parvenait pas à s'arrêter : encore une, encore une. Vous pouvez y aller, cette année ça donne bien, disait ma mère.

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    Je me souviens des cerises-pigeons, qui donnaient tellement peu de fruits qu'on était frustrés de n'en avoir qu'une poignée à se partager alors qu'elles étaient si bonnes, sucrées, croquantes. Non loin de là, deux ou trois arbres croulant sous les cerises aigres : les cerises à tartes et à clafoutis. Pleins d'entrain pour monter à l'échelle et les cueillir, on n'en voyait jamais le bout et on se lassait ... on continuera demain ... on ne le faisait pas toujours, feignasses qu'on peut être quand on est enfant, ou ado ... c'était comme pour les mauvaises herbes à arracher, ça allait un temps mais on se lassait vite, ça fait mal au dos ! Qu'est-ce que vous direz à notre âge ? rigolaient père et mère.
    Mais au moins, encore que !, les mauvaises herbes ne me faisaient pas trop côtoyer de bestioles ... jamais, au grand jamais, je n'aurais, comme ma mère, retiré à la main les doryphores immondes qui squattaient les plants de pommes de terre !
    Retour de mémoire ému sur les petits pois nouveaux, végétaux immenses sur leurs tuteurs, et qui, avec les carottes et les patates, faisaient mes délices quand la mère cuisinait les premières jardinières. Le souvenir en est si fort qu'en fermant les yeux je peux encore me rappeler leur goût, bucolique.
    Point trop n'en faut et je n'aime pas les longues tirades. Je mets mes mains au-dessus du front et regarde là-bas, loin dans l'ombre du poulailler, de grandes feuilles solides, celles de la rhubarbe. Souvenir, parallèle, aussitôt, de cuisine-formica et d'écume verte de rhubarbe, succulente, acide et sucrée à la fois.

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    Il y a peu, j'ai passé des moments ensoleillés dans un jardin, pas si loin d'où j'habitais jadis. J'y ai vu des fleurs, beaucoup de fleurs, des fraises, des framboises, de la rhubarbe, un noyer - nous en avions un aussi - et je suis sûre que ce sont ces heures-là, de pause fleurie, de senteurs de thym et d'instants bordés de verdure, qui m'ont fait revenir ce jour-là, au jardin de mon enfance, et le font ressurgir si longuement aujourd'hui.

    Jardins

    Toutes les photos de cette page ont été prises dans ce jardin, celui de Geneviève et Christian, à Voillecomte ; merci pour l'accueil, les douceurs, les rires et les soleils.

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                                                                       photos ©ueillies par l'oeil du Krop

     


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