• Autour de ça

    Éternels retours vers soi

     

    Certaines fois, quand autour de moi, un évènement grave (qui touche à  la vie, donc) se produit, je me promets d'écrire dessus : je  prends sur le coup des notes, fébriles, profondes à ce qu'il m'en semble, mais sans doute seulement empreintes de pathos. Des notes urgentes. Et puis soit l'histoire prend fin, j'en suis triste mais ça me pétrifie assez pour que je n'aie pas envie d'en faire plus, soit tout rentre dans l'ordre ou presque, et le soulagement, la joie retrouvée qui écrase toute inquiétude, balaie le besoin de raconter les heures passées grises ou noires, fût-ce sur un mode décalé, voire cynique ; en tout cas où aurait sa place l'auto-dérision ou l'humour.
    En fait inutile de chercher midi à quatorze heures : c'est qu'en moi la pulsion d'écriture n'est pas assez forte - il n'y a pas de mauvais sujet en littérature, seulement de mauvais styles - ni assez talentueuse pour que l'envie reste présente une fois le problème résolu. Dommage (pour moi), mais tant pis !

    Autour de ça

     

    Autour de ça

     

     

     

     

     

     

    J'ai à ce sujet un souvenir douloureux : ma mère s'est fait opérer deux fois d'une tumeur au cerveau : la première, on lui a retiré une saloperie de la taille d'un pamplemousse (je n'irais pas mentir là-dessus, ce sont des choses qu'on n'invente pas !). Je me souviens avec un sourire triste de ma question au toubib en regardant les résultats, lui demandant : "Mais pourquoi y-a-t-il une grosse tache sur la radio ?" Et lui : "Mais c'est ça, la tumeur, mademoiselle !" Bref ! La tumeur était bénigne, "bien" placée, et je ne comprends toujours pas aujourd'hui comment ma mère a pu, non seulement, survivre à des heures et des heures d'une si délicate opération, mais cela avec une rémission complète ... mais hélas temporaire, ce qui est, implicitement, la définition possible des rémissions. Je me souviens de m'être promis, si ma mère en réchappait, d'écrire son histoire. La joie de sa bonne santé les trois ou quatre années qui ont suivi m'ont fait profiter de ce miracle sans éprouver le besoin de le verbaliser, me disant peut-être quelque part dans un coin de mon cerveau que j'aurais toujours le temps. Grave, insondable erreur : on n'a plus jamais le temps qu'on ne prendra pas, en tout cas sous la même forme. Ma mère est morte d'une tumeur au cerveau, maligne celle-là, pas loin de la première, mais mal placée, vicieuse, évoluant doucement et sans que les essais d'opération n'aient rien fait d'autre que de réduire temporairement le mal en lui paralysant une partie du visage. M'a effleurée le fait que c'était ma faute, parce que je n'avais pas tenu ma promesse d'écriture, et puis je n'ai plus voulu y penser, parce que la culpabilité aurait été trop forte, et qu'en y  réfléchissant, cela relevait plus de la superstition personnelle qu'autre chose. Et pendant cette autre période, la deuxième fois, je n'ai jamais eu envie d'écrire, comme si raconter ça, c'était lui donner plus de force, de gravité. Au contraire, si je me souviens de cette époque, c'est le silence qui la caractérise, et, monstrueusement, la douceur. Je sais bien que le cerveau déforme les souvenirs et en fait ce qu'il veut, en particulier en gommant, parfois, les choses qu'il préfère avoir oubliées, mais je ne me souviens pas, dans ce second round fatal, avoir vu ma mère souffrir ou avoir peur (sauf peut-être dans les tout derniers moments, et encore, je me suis demandée si elle ne cherchait pas à me parler, qu'elle n'y parvenait pas, et que c'était ça qui la "secouait" si fort) ; vers la fin, elle était calme (je revois avec émotion sa tête penchée douce, et que j'ai caressée  dans son sommeil, un jour qu'elle s'était endormie sur une chaise), résignée. Elle s'est éteinte doucement, longuement, sans faire de mal à personne. Curieux mélange que ce va-et-vient entre écriture et vie, présent transcrit et absence de désir. L'écriture, les mots ont toujours eu une place prépondérante dans ma vie, sauf que je n'ai toujours pas compris exactement laquelle.

     

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    David Bowie, Cygnet committee

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  • Commentaires

    1
    Samedi 16 Janvier 2016 à 15:22

    Bonjour Nikole. C'est plus fort que soi, écrire est une nécessité d'autant plus que l'émotion est intense.

      • Samedi 16 Janvier 2016 à 15:56

        Peut-être bien. Merci.

    2
    Samedi 16 Janvier 2016 à 17:59

    Qu'elle est belle ta maman, sur la photo sépia ! Comme il est poignant ton récit !... Deux tumeurs, l'une après l'autre, une vraie déveine ! Pas de chance, non, et cependant une si grande "politesse" à s'éteindre "doucement, longuement, sans faire de mal à personne."

    J'en suis bouleversée. D'autant plus que tu es toujours la première à dire que la vie est "belle malgré tout".... Moi, je suis toujours pleine de révolte (de révolte impuissante) et de pessimisme...

    Je t'embrasse Nikole.

      • Samedi 16 Janvier 2016 à 18:32

        Merci. Tes mots me touchent, me touchent tellement. Je t'embrasse aussi.

    3
    AniLouve
    Samedi 16 Janvier 2016 à 18:49

    Ton récit est très émouvant.

    Bien entendu tu sais que tu n'as aucune responsabilité et je suis certaine que tu fus une fille aimante.  Mais maintenant, pourquoi ne pas nous parler de ta mère par de petits souvenirs de bonheurs, ces petits riens qui font la vie, un vieux pull aimé, sa paire de lunettes, une plante, des photos bien sûr, une promenade, etc ...

     

    Et toi, rétablie ?

      • Samedi 16 Janvier 2016 à 19:31

        Les commentaires offerts ici sont parfois doux comme des baumes ...
        Ouioui, je vais bien, le mieux possible.
        Merci !

    4
    Samedi 16 Janvier 2016 à 19:40

    Très bel écrit empreint de pudeur de délicatesse et d.émotion

    merci

      • Samedi 16 Janvier 2016 à 19:51

        Merci, c'est très gentil !

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    5
    Dimanche 17 Janvier 2016 à 09:55

    On ne comprend pas toujours pourquoi l'on fait ce que l'on fait (écrit ou autre) mais on ne peut pas faire autrement, et pour être tout à fait sincère je ne suis pas certain que nous aurons tous un jour la réponse à cette énigme, alors on continue.

      • Dimanche 17 Janvier 2016 à 10:22

        Merci. Je me sens moins seule au milieu d'interrogations que toi et d'autres semblez partager avec moi.

    6
    Lundi 18 Janvier 2016 à 10:05

    Tout  simplement  BONJOUR !

    Oncle  Dan .

      • Lundi 18 Janvier 2016 à 14:14

        C'est bien : "Bonjour !" ça fait plaisir ... Bonjour également !  :-)

    7
    Lundi 18 Janvier 2016 à 10:35

    Je n'ai pas pu m’empêcher de verser une petite larme à la lecture de ce message. Il me donne envie d'appeler ma mère pour lui dire que je l'aime...pendant que j'ai encore la chance de l'avoir. Je sais qu'un jour, cette douloureuse épreuve se présentera devant moi et j'en ai terriblement peur.

    Elle était très belle ta maman au sourire éternel. Je suis persuadée qu'elle serait, qu'elle est fière de toi.

    Ils ne nous quittent jamais vraiment, cet amour là ne meure pas.

      • Lundi 18 Janvier 2016 à 14:16

        Désolée de t'avoir fait pleurer ...  Quant aux gens qu'on aime, on ne leur dit peut-être pas assez, en effet.
        Je te souhaite une bonne journée et t'embrasse.

    8
    Mercredi 20 Janvier 2016 à 09:17

    Belles et douces pensées, se respecter et s'écouter dans le bon sens du terme, et nous avançons avec ce que la vie, les expériences, les rencontres ont fait de nous sans jugement aucun.......

      • Mercredi 20 Janvier 2016 à 10:42

        Merci pour ce si beau commentaire.
        Bonne journée.

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