• Chronik (4)

     

    Chronik (4)

     

    Jeudi 21

     

        Une crainte bête et démesurée pour son objet m'anime bien trop souvent : un papier administratif égaré, un petit déplacement inhabituel, un objet indispensable soustrait à la vue immédiate, et me voilà comme une fillette apeurée dans la forêt d'un inconnu que je juge dangereux par essence. Relativiser est une notion primordiale dans la vie, et que je suis sûre de ne pas maîtriser. Mais peut-on véritablement avoir la mainmise sur ses agitements intérieurs (le mot n'existe pas, mais j'ai décidé de le garder quand même), ceux que l'on répète quand les contextes se répètent. Pourtant on se raisonne, cerveau d'un côté, mais corps indépendant de l'autre. L'âge n'y changeant rien, voire empirant le phénomène, peut-être me faudrait-il songer à trouver un moyen pour assagir ces sensations-là, mais comment ? La méditation ? Autre chose ? Quoi ?

        Cette après-midi et pour vingt-quatre heures, immersion dans ma ville de naissance, avec des retrouvailles de collège prévues. Revenir sur des lieux de vie ancienne, qu'est-ce que cela va me faire ? J'ai envie de revoir le grand Jard, la place de la République, le pont de Putte-Savate, ancien quartier des tanneurs, le Mau, le Nau, le lycée, le collège, la tombe de Cabu. Je sens mon cœur  s'étreindre à ces évocations-là ! Clau m'a proposé d'y aller avec elle, j'ai accepté ... je dois être dans le même état d'esprit qu'à mon premier jour d'école ...

     

    Vendredi 22, nuit

     

        Après ces vingt-quatre heures qui m'ont paru plus, non par ennui mais par intensité, que reste-t-il, là, alors que je tombe de sommeil et que je veux effleurer le souvenir de reliefs  ? L'intensité, précisément, le précipité -comme en chimie- d'écoute, de partage, de ressenti, d'accumulation, aussi, de paroles, de sourires, d'images, de soleil, de soleil froid, acéré, vif. Beau. Je retrouvais la Marne, "ma" Marne, même changée, divisée, "alternée". Traversée. Des rues, des regards, de l'attention, de l'émotion. La nuit va déposer tous ces grains de poussière dorée qui tournent dans ma tête. Et demain, on verra quels mots animent cette subsistance-là, si elle ne s'est pas dissoute dans l'apaisement du sommeil.

     

    Samedi 23

     

    Chronik (4)

     

        À l'inverse de mes autres, aucun rêve n'a gravé ma nuit, en tout cas aucune image ni aucun souvenir ne surnagent. D'hier, au contraire, surnage, si tant est qu'on puisse utiliser ce mot, paradoxal, pour ce qui est enfoncé, c'est la vision nette, belle, précise et calme -oui, curieusement, calme- de ce clou géant dans le trottoir de ma ville d'origine, avec inscrit, en lettres durables, "cabu".

    *

        Décider, une fois de plus, de faire mon pilates m'a été un effort. Même si j'en ressens les bienfaits corporels. C'est le seul acte de "courage" physique que je m'oblige à faire quand je suis chez moi. Au moins ça, à défaut de plus, ou d'autre chose. Et essayer de ne pas remettre, à quelques minutes encore, encore, plus tard. Nos victoires personnelles sont rarement comparables à celles des héros. Pourtant je n'avais qu'une envie, rester accrochée à cette page en la labourant comme un champ -plaine ?- pour dire ma vie, ou plutôt (plutôt ?) mes mots. Parallèle à une phrase baudelairienne comme "mon cœur mis à nu", j'ai de plus en plus souvent en tête, quand j'écris, cette image du film "Adèle H" où Adjani épuise des ramettes de papier (épuiserai-je un jour celles de mon ordinateur ?) cousant, cousant le fil jusqu'au vertige. Apo trouve mes mots intimes et noirs. Intimes, peut-être, alors que curieusement je ne le ressens pas ainsi ... je pourrais peut-être dire en face à quelqu'un ce que j'écris ... noir, non, pourquoi noir ? gris, peut-être, mais le gris ne m'a jamais été une couleur triste, mais une couleur à nuances, une gamme permettant de rester dans l'équilibre entre le trop, et le trop peu. Faut croire que ce n'est pas l'impression que ça peut donner. Mais quand on est dans une situation, par définition, on n'a pas de recul.

     

    *

        Est-ce parce que beaucoup d'images et de mots remplissent ma tête que j'ai un mal fou à parler de ces vingt-quatre heures ? Paroles plutôt que mots, d'ailleurs. Conversations des gens alternant avec le silence de lieux. Rires partagés avec émotions légères ou plus lourdes. Mon collège Nicolas Appert. L'avenue de Paris et la brasserie désaffectée Slavia. Les rues du centre, lycée, médiathèque. La tombe de Cabu. La pénétrante, cette voie rapide où en pointillés et contrebas couraient les maisons et les chapiteaux du Cirque. Le belvédère qui embrasse de loin Châlons, caché un peu derrière la végétation de la rambarde. Le petit Jard. Le dernier coup ensemble Place de la Rep. La gare. Arrivée la nuit, je repartais avec le soleil se couchant de plus en plus vite au milieu de lumières irréelles. Elles enflammaient une plaine intense.

     

    Chronik (4)

     

    *

         Coupes de champagne plusieurs fois pleines, nous avons trinqué et trinqué encore. Je l'ai fait au passé et au futur. Clau a proposé de le faire au présent !

        

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 24 Octobre 2021 à 17:08

    quelle intensité, qu'importent les mots, on ressent le vécu, le bonheur, l'importance du lieu, des rencontres, c'est dans ces moments là que vit la vie !

    champagne et à ta santé !

    amitié .

      • Dimanche 24 Octobre 2021 à 17:53

        Merci et à la tienne Marie-Claude !
        Amitié.

    2
    Lundi 25 Octobre 2021 à 16:02
    daniel

    Boire au présent, c'est ça la vie car le présent est la vie. Pour le reste .....Pfft !....... Un au texte !

      • Samedi 30 Octobre 2021 à 22:07

        "Un au texte" ? Je n'ai pas compris.

    3
    Samedi 30 Octobre 2021 à 13:29
    zalandeau

    Parfois, je suis à la limite de prendre mes rêves pour la réalité... Et quand je vois la belle-doche (20 piges de plus que moi), elle prend carrément ses rêves pour des réalités : Elle demande pourquoi son fils de 1à ans n'est pas venu la voir (elle n'a eu que trois filles, jamais de fils et de plus un fils de 1à ans alors qu'elle en a 91 ???)...

    On se demande à quel moment on va tomber dans l'irréel complet... Ce que les gens qualifieront de radotage et de sénilité, voire de folie...

    Pas drôle... Pourquoi on ne reste pas "d'jeune" ? J'aurais bien aimé mourir de mon vivant (comme disait Coluche)...

     

    Très bonne journée

      • Samedi 30 Octobre 2021 à 22:06

        ;-) merci !

      • Dimanche 31 Octobre 2021 à 14:30
        zalandeau

        Bizarre qu'il s'affiche 1à ans au lieu de 10 (dix) ans ? Et deux fois de suite ?

      • Dimanche 31 Octobre 2021 à 14:33

        Oui ... mais la technique hein ! J'ai beau dire qu'il ne faut pas toujours s'y fier, on ne me croit pô !

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