• Cycles, retours, changements

    Lucien Clergue     (première partie)

     

    Cycles, retours, changements

     Dans les années soixante-dix les MJC (Maisons des Jeunes et de la Culture) fleurissent. Leur dénomination, alors, n'est pas un vain mot, en particulier en ce qui concerne la culture, le théâtre, les arts. Encore au lycée, puis étudiante, j'eus le plaisir d'y découvrir (Robert Hossein venait alors d'intégrer la fonction de directeur dans celle de Reims) certains spectacles comme on ne les imagine pas aujourd'hui dans un tel contexte : j'y ai vu jouer Crime et châtiment (un souvenir extraordinaire), une pièce de Planchon, et même Isabelle Adjani -elle avait dix-sept ans- dans La maison de Bernarda. Certes j'ai l'impression d'avoir cent ans quand je raconte ça, mais je me rends compte de la richesse de ces années-là. Quel rapport avec le titre ? J'y viens : c'est dans ce même endroit que je découvris le photographe Lucien Clergue, grâce à une amie de l'époque, étudiante aux Beaux-Arts, qui m'emmena voir une expo de ses nus de la mer. Je fus éblouie ; je me demande même si ce ne fut pas là la première expo photo que je vis : c'est en tout cas la première qui me marqua.

    Lucien Clergue est mort en 2014, et cette année, le Grand Palais a proposé une rétrospective du photographe d'Arles ; l'occasion pour moi de confronter la réalité à mes vieux souvenirs.

    Comme la mer toujours recommencée, la vie l'est souvent, aussi, en cercles ; en boucles. Peut-être est-ce la façon d'être de ma génération qui veut ça, j'aimerais savoir ce que d'autres, nés comme moi dans les années cinquante, en pensent : toutes ces choses qu'on a vues, entendues, vécues, et qui reviennent sur le devant de la scène, de notre scène aussi, dans un contexte complètement différent ; et puis ce décalage, ce grand écart entre notre jeunesse et aujourd'hui, cet empan qui grandit, grandit, en me (nous ?) donnant une vision double, tout cela, comment le vivez-vous ?

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    Justement, l'expo commençait par ces nus de jadis. À contexte différent émotions différentes ? Sans doute. On n'est plus les mêmes. Tout sera encore beau dans ce que je verrai ce jour-là, mais plus rien ne me sera magique. Et toutes ces belles images, et les nus, et les autres, scènes de vie ou graphismes impeccables, je les trouverai beaux, mais juste avec mon œil, pas vraiment avec mon cœur. Peut-être aussi notre regard change-t-il, chargé qu'il est par tout ce qui l'a traversé. Est-ce en plus (surtout ?) parce qu'il y avait du monde ? Peut-être bien ... On finit par regarder l'air et les gens autant que les images, et le sentiment, peut-être, en est parasité ; je ne sais pas.

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    Pourtant, aussi nombreux étaient-ils, il y avait de la joie chez eux, de l'attention, et même ... du recueillement.

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    Mais on peut être agacé, aussi, par les gens qui agissent comme s'ils étaient entre eux, sans personne pour les voir, et la vision de mains aux fesses, sans pudeur, comme si c'était un geste anodin que chacun pouvait faire, me dérange ... À croire que l'intimité et la discrétion n'existent plus ... Suis-je donc la seule à trouver ça si dérangeant ?  Pour moi, ça ne se fait pas. 

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    Je parlais de nus tout à l'heure ... il me faut revenir au flou de la vague qui sans cesse, dans ces photos-là, fait des femmes sculpturales qu'il y émergea à demi, des Vénus maritimes sans tête (à l'époque : habillée : tête permise ; déshabillée : tête cachée) qui souvent troublent le rafard ( tss ! tss ! c'est quoi ce mot tapé par erreur he ) ... le regard, donc ! Et que troublent les vagues.

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    Ce jour-là, une fille de maintenant, habillée, la Cycles, retours, changements

     

     

    cuisse gainée,  le long d'un mur arborant une des

     

     

    déesses de l'océan, faisait un écho physique

     

     

    à la photo affichée ...

     

     

     

     

     

     Clergue a côtoyé le monde artistique (Picasso et d'autres ; à une époque où il suffisait de demander à voir quelqu'un, une époque où l'on pouvait parler aux gens directement, sans passer par le filtre multiplié d'agents, d'attachés, de gardes et que sais-je, c'est d'ailleurs ainsi qu'il a pu devenir photographe, d'une façon qui plus jamais n'existe aujourd'hui -mon ancien prof de français qui a eu pour élève une humoriste du moment n'a jamais pu entrer en contact avec elle !-), le monde musical (Manitas de plata), celui de la corrida aussi. Il photographiait tous ceux-là et tout cela : les gitans de Camargue, les taureaux, et les animaux morts, aussi. Comme pour bien des artistes, la mort était un sujet qui revenait régulièrement.

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    (Celle de droite, vous l'avez déjà vue, avec la tête de mézigue ...)

     

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    Deux images étranges, que ce mannequin chiffonnier, et cette série d'épaves vivantes, poissons ou oiseaux morts échoués, des charognes infâmes qui s'ouvrent comme des fleurs (difficile de ne pas penser à Baudelaire au mot "charogne".)

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    La mer, toujours, et qui lave et qui sculpte. De la mer à la plage, il n'y a qu'un pas imprimé dans le sable.
    Et ces traces-là font toujours rêver ...

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     Fin de la première partie :  à suivre ...

     

     

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  • Commentaires

    1
    Mardi 10 Mai 2016 à 08:52

    Un ensemble généreux en texte et photos. Merci, Nikole.

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 17:18

        Je te remercie pour ce très gentiagréable commentaire !

    2
    Mardi 10 Mai 2016 à 10:56

    En une moitié de ligne, Mario a tout dit. 

    Je n'ai jamais l'impression que tout recommence, parce que je ne cesse de découvrir... 

    Moi non plus, je n'aime pas les couples qui se permettent des choses en public... Mais peut-être bien que la pudeur c'est vieux-jeu... 

    Superbe billet, Nikole...

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 17:26

        Et à toi itou Eva ! :-)
        Entendons-nous bien : ce n'est pas vraiment que ça recommence, c'est plutôt que ça se re-présente ... Mais apparemment pas de la même façon, comme je le laisse percevoir dans mon texte. Comme des balises qui flottent et qu'on revoit après un voyage, celui de la vie peut-être ... mais j'arrête là une phrase un peu grandiloquente, d'autant que parallèlement, bien sûr, j'ai comme toi l'impression de découvrir chaque jour, et heureusement. Merci pour ton message.

    3
    Mardi 10 Mai 2016 à 12:19

    La suite, la suite...
    Avec un peu de retard (...) un beau compte rendu et ta vision de l'expo et de ses à-cotés .

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 17:28

        La suite va viendre, mais j'arrive pas trop à ... suivre (le rythme que je voudrais pulser dans ce blog). Encore un peu de patience.

    4
    Mardi 10 Mai 2016 à 13:11

    Belles photos, mais surtout un texte tout en interrogations. Il y a de la pudeur, de la timidité, de la désillusion. Des regrets pour ce temps passé qui ne sera plus et qui édulcore les souvenirs. Il n'empêche que c'est un texte très nuancé, poétique par moments, dont les expressions sont fortes : "cet empan qui grandit, grandit...", "grand écart entre notre jeunesse et aujourd'hui"... L'impression d'être déphasée, non ? Prise de conscience du temps qui passe et qui rend tout différent ? On ne vit, hélas, jamais eux fois la même chose, on ne ressent jamais deux fois une impression, les sentiments évoluent avec le temps et affadissent des vérités qu'on croyait éternelles. Oui, tout cela recèle une nostalgie d'un monde oublié malgré soi.

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 17:31

        C'est sans doute vrai que les sentiments, quels qu'ils soient, sont transformés avec le temps et par lui. Vrai aussi que les souvenirs sont déformés, oubliés, ou édulcorés.
        Merci de ce qui est dit de ce que j'ai écrit, j'en suis touchée. Merci pour ce message déposé chez moi.

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    5
    Mardi 10 Mai 2016 à 15:56

    Il semble que je puisse enfin déposer un commentaire, j'en profite.

    Je ne connais pas ce photographe - un domaine trop peu exploré - mais je suis sensible à ce que tu écris sur l'évolution de nos perceptions avec le temps. Notre regard s'est nourri de tant de choses, notre sensibilité s'est parfois émoussée, parfois renforcée. Mais l'âge nous enrichit aussi : nous nous souvenons, nous comparons, nous jetons des passerelles entre des choses vues, entendues, vécues. Nous sommes peut-être plus attentives aux personnes autour de nous que quand nous étions jeunes.

    Je relirai ce billet, et la suite annoncée. Bonne après-midi, Nikole.

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 17:16

        Merci. je ne peux laisser de commentaire sur ton blog : je ne vois pas où on peut le faire !!  :-)

    6
    Mardi 10 Mai 2016 à 16:42

    Sacré expo ! L'éducation populaire, monsieur, ils n'en n'ont pas voulu ! Dirait Franck Lepage.

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 17:17

        je ne comprenais pas. Et puis tu m'as fait découvrir Franck Lepage et les maisons de la culture ! Merci Thierry !

    7
    Mardi 10 Mai 2016 à 16:55

    Un très beau reportage , sensibilité, poésie...

    Merci Nikole

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 17:28

        Merci à toi !

    8
    patricklechalonnais
    Mardi 10 Mai 2016 à 18:44

    tres beau reportage en effet sur un sujet que je connais bien peu.

    un avis partagé  quand même , au sujet de ces mains aux fesses en public, qui témoignent , et c'est peu dire de la totale disparition de la pudeur ou de l'intimité la plus simple .

    complet déphasage a une époque où se faire "vidéoter " dans la rue par des caméras de surveillance fait pousser des hauts cris a bon nombre.

     

    le début de ton message m'a ausii énormément plu , Nikole , dans ce sens où j'ai aussi vu ces spectacles montés par  Robert  Hossein Crime et Châtiment , les bas fonds, la casa de Bernarda , et  la pièce de Planchon, tous ces déplacements organisés par un prof de français absolument extraordinaire ...

    Rajeunir de la bagatelle de 44 ans en lisant 2 phrases , voila un élixir de jouvence que je n'aurais su imaginer en rentrant du travail ce soir.......

    merci Nikole !

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 18:01

        Merci pour ce long message, Châlonnais. Je suis contente d'avoir ravivé des (bons) souvenirs, et un peu de ta florissante jeunesse :-)  Ayons une pensée émue pour feu le professeur Buy (et son épouse) qui nous trimballaient par classes entières du lycée à Reims et à Paris pour nous faire découvrir des pièces de théâtre (et des expos aussi) : je me rends compte rétrospectivement de la charge que ce devait être pour eux.
        Mais si tu veux tourner encore un peu la roue du passé, tu dois pouvoir trouver ici où  ; encore , , tralala etc., des petites choses qui te parleront, car le passé étant une maison où j'ai toujours habité, j'y fais allusion ici.

    9
    patricklechalonnais
    Jeudi 12 Mai 2016 à 22:11

    merci Nikole pour ces  rappels du passé.....

    Le passé, le simple et le (dé) composé, meme si mes antérieurs me font un peu mal de temps en temps , me touchent de plus en plus profondément

    je me souviens même d'une émission de Télé ,  qui s'appelait "les bonnes adresses du Passé"

    ( pour les plus nostalgiques , ça se tient ici : http://www.ina.fr/emissions/bonnes-adresses-du-passe/ )

    pour ce qui me concerne , la rive gauche de Châlons , le garage au coin de l'avenue de Paris et de la rue Oradour,  le CES Nicolas Appert, la Bidée et bien entendu Fagnieres font irrévocablement  partie de "mes bonnes adresses du passé "

    Dès que j'en ai l'occasion, un déplacement a Fagnieres ne peut pas se concevoir sans passer par la rue Marcel Pinotie , avec un ralentissement très marqué de ma vitesse , et de ma pensée...au niveau du N° 29.

    le film de ma jeunesse s' y déroule dans ma tête , avec toujours une évocation très émue et très sincère pour ceux qui nous ont quitté.

      • Jeudi 12 Mai 2016 à 23:22

        J'avais oublié Les bonnes adresses du passé, et puis en cliquant dessus, avec le générique, petite madeleine ! :-)
        Les rares fois où j'ai dû repasser à Fagnières, j'ai évité "la maison" ou suis passée vite, parce que ça me chamboule trop ... Et merci de papoter avec moi ici. Bises et bonne nuit.

    10
    Lundi 16 Mai 2016 à 15:27

    j'ai du mal avec le monde dans les expos (photos ou autres); ça me coupe intérieurement des oeuvres

    je fais un gros effort pour "entrer" dans l'expo et je ne vois plus les autres; j'ai besoin de m'immerger pour sentir

      • Lundi 16 Mai 2016 à 15:37

        Si tu y parviens, je t'en félicite ; parce que moi ...
        Bon(ne) après-midi.

    11
    Lundi 16 Mai 2016 à 19:47

    je viens d'aller me promener sur animus; j'aime bcp! j'aime la série que je nomme "en sommeil"

      • Lundi 16 Mai 2016 à 19:53

        J'ai des centaines de dormeurs métropolitains. C'est très gentil d'être allée voir mes photos sur Aminus : j'en suis touchée : merci !

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