• Fiction

     

    La bénévole

     

    K traîna des pieds tout le long du chemin et retrouva son allant en actionnant la poignée de la porte. Personne à l'accueil. Au réfectoire-salle-de-télé-tricot-jeux-de-société, madame Laru relisait pour la énième fois l'unique lettre qui lui restait de sa fille, et à l'autre bout de la salle, la jeune Emma grattait ses genoux en contemplant le paysage vide par la fenêtre.
    - Bonjour, dit-elle mollement à la cantonade. Mais personne ne tourna la tête vers elle.
    K alla s'asseoir près de la jeune fille et regarda dans la même direction qu'elle. Il n'y avait rien à voir que le mur d'enceinte, sans oiseau ni feuillage. Le silence écrasait la pièce, et le jeune corps posé près d'elle.
    - Je t'ai apporté du lilas de mon jardin, il est en fleur.
    La jeune fille prit le bouquet offert, en froissa les fleurs et les porta à son nez sans rien dire.
    - Je reviendrai demain, ajouta K, et elle se leva, tandis que la jeune, alors, lui saisissait le bras, et la regardait de son regard transparent d'aveugle.
    K se dégagea doucement, eut envie de dire quelque chose, ne le dit pas et sortit. Madame Laru ronflait tout bas, la joue collée de larmes et d'encre.

     

     

    Fiction

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Texte ©La plume du Krop

    Photo faite lors d'une expo Bilal (sépia Le Krop)

     

     

    « InterludeInterlude »

    Tags Tags :
  • Commentaires

    1
    Vendredi 20 Juillet 2018 à 18:31

    C'est un beau texte comme tu en as le secret.
    Et une belle photo.

    Bon weekend NK

      • Samedi 21 Juillet 2018 à 19:37

        Merci b-b ! contente que tu trouves ça beau et bon week-end à toi aussi :-)

    2
    patrick
    Vendredi 20 Juillet 2018 à 20:31

    l’atmosphère que tu décris  si bien en quelques lignes, et dont la photo parachève l'évocation me replonge dans mes premières années professionnelles.

    a te lire, je me revois accompagner une personne rendant visite a un proche ou un parent dans la tristesse de ces salles a multiples usages, qu'on trouve au cœur d'un pavillon  d'un hôpital psychiatrique.

    Années 70 et un peu plus ...........

    Tout y est : l'absence, la présence parfois invisible ou transparente , les lectures et relectures multiples , souvent accompagnées d'imperceptibles écholalies, l'envie de dire , l'impossibilité de le faire, les larmes et les regards......

    on ne saura jamais assez a quel point ces regards là parlent .

      • Samedi 21 Juillet 2018 à 19:41

        Je me doutais que ce texte t'évoquerait ton (ancien) métier. Et à vrai dire ce texte trouve aussi peut-être des éléments dans les souvenirs que j'ai de l'hôpital psychiatrique de Châlons (où j'ai travaillé plusieurs étés) ... je ne sais pas ... Les regards et les silences -ou les mots qui en sont- tu as raison, ça marque.

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    3
    Vendredi 20 Juillet 2018 à 20:48

    tristesse, courage, tendresse, patience, 

    que de tristesse en ces salles,

    que de courage pour y verser

    de la tendresse, 

    quelle patience de le part de tous les personnages ...

    tout est dit !

    amitié .

      • Samedi 21 Juillet 2018 à 19:43

        Dans certains endroits, le temps a une consistance particulière ... pour le reste, on doit souvent se sentir empathique mais impuissant.

    4
    Samedi 21 Juillet 2018 à 14:29

    Très profond en peu de mot. Ecriture vamp'irique qui nous aspire et nous attire, comme la photo.

      • Samedi 21 Juillet 2018 à 19:44

        Leur solitude est profonde, leur désarroi aussi, peut-être. Merci pour ce commentaire !

    5
    Samedi 21 Juillet 2018 à 23:34

    Je lis le com de Patrick et je m'arrête sur "années 70 et un peu plus"... Je suis perplexe... Depuis qu'y a-t-il de changé ? C'est mieux ou moins bien ? Et ailleurs, dans les autres pays de l'Europe ? c'est comment ? Peut-être que Camille Claudel ne serait pas restée enfermée si les neuroleptiques avaient été découverts à son époque... oui, ton texte ciselé nous aspire comme l'écrit Tmor... il nous décrit un univers à la fois hypnotique et angoissant.  

      • Dimanche 22 Juillet 2018 à 00:19

        J'avoue que je ne sais rien de ce monde, ni en France ni ailleurs ... peut-être Patrick saura-t-il t'en dire un peu plus s'il repasse. Et merci pour ton passage et ton commentaire, Eva.

    6
    Dimanche 22 Juillet 2018 à 07:50

    J'ai déjà évoqué cette idée jadis et tu n'avais point aimé. J'y reviens quand même.


    Écris au temps présent. Sinon, ton texte déborde de sonorités A et c'est agaçant.

      • Dimanche 22 Juillet 2018 à 08:38

        Tu peux, on peut dire ce qu'on veut et pense ici. Cela dit, je ne me souviens pas que tu m'aies déjà parlé de mes passés  simples. Ni des a récurrents agaçants à ton oreille. Et ça fait plusieurs fois que je ne relis pas tout haut, je me rendrais sans doute mieux compte des sonorités (et des répétitions).
        Cela dit, j'aime bien le passé simple, et le présent ne peut pas le remplacer facilement, surtout pour moi.
        Mais merci pour cet avis.

    7
    patrick
    Dimanche 22 Juillet 2018 à 08:06

    Eva-Maïa, c'est globalement un peux mieux , on ne peut pas dire le contraire .

    un effort d'humanisation de l'environnement a été fait. les dortoirs a 20 personnes ont disparu.

    les prises en charges sont plus diversifiées et le temps est pris en compte dans une dimension soignate , moins "attentiste"

    on a vidé les HP ( de 850 lits a mon entrée en 08 / 1976, on était a 320 a mon départ

    ce qui ne veut pas dire que ceux qui sont dehors sont mieux loin de la

    il y a eu un étrange "mix" entre le fait de "libérer " les patients enfermés abusivement (les modifications des lois sur l'internement y ont été pour beaucoup) grace a   la volonté de certains médecins & soignants aussi , ET une aubaine pour les ministeres successifs , qui ont bien compris qu'un lit occupé coute plus cher que pas de lit du tout.

    donc trop de lits supprimés , pour des prises en charges alternatives souvent inopérantes .

    les Belges y arrivent mieux

    mais , tu sais , même dans des murs aux couleurs gaies , a la déco le plus pimpante possible , la psychose reste la psychose . Ce regard qui te transperce et semble voir derrière toi, sans te regarder .....

    et l'apragmatisme , et la clinophilie ( désolé, c'est comme ça que ça s'appelle ) sont souvent de mise , et c'est aussi une des raisons pour lesquelles de nombreux psychotiques  peuvent rester des heures dans leur lit, a ne rien faire ( du moins , ce que nous pensons etre "ne rien faire ")

    la stimulation des soignants peut être efficiente , parfois tout a fait inopérante , voire pire.

    Camille Claudel , avec des neuroleptiques , aurait pris quelques kilos et aurait sans doute été  moins créatrice

    elle aurait été plus sereine , quand même , bien que ce soit  un bien grand mot.

    mais elle aurait souffert, psychiquement, beaucoup moins .

    La Psychose est une machine a broyer,  a coté de laquelle les situations , les contextes  les pires que nous avons du mal  a supporter , nous qui sommes "seulement normalement névrosés" , sont un paradis .

     

      • Dimanche 22 Juillet 2018 à 08:40

        Merci pour Eva (et pour moi) de ce que tu nous dis en plus, sur ce monde-là, de ton expérience.

    8
    Dimanche 22 Juillet 2018 à 15:17

    oui, merci Patrick. Réduire le nombre de lits est bien sûr une solution de facilité économique. Je ne sais pas non plus si la spécialité "médecin psychiatre hospitalier" est très demandée parmi les étudiants en médecine (ils préfèrent de loin la dermato par ex...). C'est aussi par économie qu'on a commencé à une certaine époque à répartir les patients par secteurs géographiques (toutes pathologies mélangées). Quant aux malades dehors... les plus graves sont dedans aussi : en prison... (non reconnus comme malades, pour ne pas les dispenser de punitions... Je suis bien consciente que la psychose est une machine à broyer, et je regrette que le terme "schizophrénie" soit employé sans arrêt n'importe comment dans les conversations...

    Enfin, Camille Claudel a cessé de créer dès qu'elle a été enfermée "Je réclame la liberté à grands cris"...

    On a reproché à Lacan son record de suicidés parmi ses patients : je crois savoir qu'il était l'un des rares à prendre le risque de recevoir en consultation des schizophrènes, contrairement à ses confrères qui ne recevaient que des névrosés... Oui, la psychose est une machine à broyer... d'autant plus que la maladie mentale en général fait peur et même horreur...

      • Dimanche 22 Juillet 2018 à 19:20

        On a souvent peur de ce qu'on ne comprends pas...

    9
    patrick
    Dimanche 22 Juillet 2018 à 20:55

    le découpage géographique , qui date de 1960 et s'appelle la "sectorisation " est une excellente chose dans ses origines , mais qui a été dévoyée par les médecins eux mêmes

    excellente chose car elle organise le maillage des soins psychiatriques ( et c'est la seule discipline médicale a en bénéficier ) de sorte que , où qu'on habite en France , une équipe soignante, en tant que équipe de Ce Secteur, est tenue de prendre en charge gratuitement toute personne de ce secteur.

    ensuite , les médecins , concernant les hospitalisations ont préféré garder leur pré carré, et soigner dans leur service . cequi est nul, bien sur , mais par esprit de chapelle , .....

    une hospitalisation par pathologie peut exister et existe mème a certains endroits .( Dijon le fait depuis bien avant 2000.

    Lacan et Freud , ont cessé d’être des references pour moi, en côtoyant de très prés les psychiatres qui s'en réclament.

    sur un fonds de théories auxquelles on peut être sensible et qi ont du vrai dans leurs origines, on  a organisé des thérapies qui sont a mon sens de véritables sports de riches . a 150 E la seance 2 fois par semaine en liberale , tu vas vite mieux .

     

    Quant aux malades en prison, je vais choquer mais sur le fond , je suis pour.

    avec des soins bien évidemment.

    mais l'irresponsabilité pénale d'une personne ayant commis un meurtre est pour l'instant en France synonyme de non lieu : donc au sens propre comme au figuré , il ne s'est rien passé . ce qui est un peu fort de café , non ?

    et il faut savoir qu'un auteur de crime , expertisé comme irresponsable et relevant de  la psychiatrie devra avoir l'avis favorable  d'un college de 3 experts psychiatres pour sortir.

    ça peut être de la vraie perpette !

    mais bon, profitons de la retraite , ;).

    10
    Dimanche 22 Juillet 2018 à 21:03
    Grand merci Patrick pour toutes ces precisions !
    11
    Lundi 23 Juillet 2018 à 07:59

    Et merci à vous deux pour ces échanges dans mon salon. Bonne journée. Je vous embrasse.

    12
    Lundi 23 Juillet 2018 à 13:57

    c'est une beau texte.

    tu es doué avec les mots!

    moi c'est pas mon truc....lol

    bonne journée

      • Lundi 23 Juillet 2018 à 14:12

        Merci, c'est gentil !
        Heureusement qu'on n'est pas tous pareils, remarque, et que les goûts sont différents.
        Bonne journée.

    13
    Mardi 24 Juillet 2018 à 18:19

    C'est "Le salon où l'on cause" ici ! :-) Et c'est très intéressant, merci.

    Je vous laisse, je vais repeindre mon plafond :-))

      • Mardi 24 Juillet 2018 à 19:05

        C'est sûr que si les gens passent et repassent, finit par y avoir un côté couarail ici, ce que, comme toi, je trouve fort intéressant ! Merci :-)

    14
    Mercredi 25 Juillet 2018 à 13:35

    Un très beau texte. Tout est solitude et enfermement. Mais sans lourdeur. A cause du rythme des phrases. Peut-être aurait-il fallu l'écrire au présent : cela l'allègerait encore. J'ai souvent écrit au passé simple pour ensuite conjuguer au présent. Cela prend vraiment une autre dimension (copié-collé et mise au présent)

    K traîne des pieds tout le long du chemin et retrouve son allant en actionnant la poignée de la porte. Personne à l'accueil. Au réfectoire-salle-de-télé-tricot-jeux-de-société, madame Laru relit pour la énième fois l'unique lettre qui lui reste de sa fille, et à l'autre bout de la salle, la jeune Emma gratte ses genoux en contemplant le paysage vide par la fenêtre.
    - Bonjour, dit-elle mollement à la cantonade. Mais personne ne tourne la tête vers elle.
    K va s'asseoir près de la jeune fille et regarde dans la même direction qu'elle. Il n'y a rien à voir que le mur d'enceinte, sans oiseau ni feuillage. Le silence écrase la pièce, et le jeune corps posé près d'elle.
    - Je t'ai apporté du lilas de mon jardin, il est en fleur.
    La jeune fille prend le bouquet offert, en froisse les fleurs et les porte à son nez sans rien dire.
    - Je reviendrai demain, ajoute K, et elle se lève, tandis que la jeune, alors, lui saisit le bras, et la regarde de son regard transparent d'aveugle.
    K se dégage doucement, a envie de dire quelque chose, ne le dit pas et sort. Madame Laru ronfle tout bas, la joue collée de larmes et d'encre.

      • Mercredi 25 Juillet 2018 à 14:19

        C'est ce que me dit Mario dans un des commentaires ... tu es donc d'accord avec lui !
        Le présent donne effectivement une autre dimension, je dirais plutôt un autre mouvement, plus rapide, à ce que j'en sens ... je préfère, en l'occurrence, le passé simple, son passé, précisément, et sa lenteur (relative).
        Mais merci beaucoup : j'aime ce type d'échanges.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :