• La(r)mes de fond

     

    Double peine

     

    Il y a quelque temps, comme souvent, mon œil traînait sur les errants de ce hall, s'emplissant peu à peu de gens en attente d'un RER qui ne venait pas, pour cause de malaise de voyageur à une autre station (pas possible, il devait être mort depuis le temps !) J'ai fait quelques photos, emprisonné quelques silhouettes. Cet homme, je l'avais pris de dos, ainsi que j'aime à le faire, fantôme parmi les piétineurs de l'instant. Je le capturais, comme à mon habitude,  pour le graphisme, l'atmosphère, la solitude. Il téléphonait. Il s'est retourné, il avait la main sur le front, il réfléchissait à quelque chose ? J'ai pris une autre photo, de face et de loin. Mais non, ce n'était peut-être pas juste de la réflexion. Et puis... et puis je l'ai entendu parler, avec véhémence. Et... et pleurer. Pleurer si fort que je l'entendais même de loin. Paroles et sanglots mêlés. Ça ressemblait à une rupture. Subie. Alors je me suis éloignée. Encore plus.

     

    La(r)mes de fond

                                                                         (une suite, une réflexion, ICI)

     

    Quelques jours plus tard, j'attendais le métro, marchant le long du quai. Je remarquai alors, assise, une jeune fille les yeux rivés sur l'intérieur de son sac et qui pleurait. Je m'éloignai en faisant semblant de ne l'avoir pas vue. Et puis, dans mon aller-retour, je retombai sur elle. Avalanche. Elle hoquetait presque à présent, deux rigoles de noir lui coulaient sur les joues, et elle avait toujours ce regard planté sur son sac ouvert, que je supposai receler un téléphone avec texto. Ça ressemblait à une rupture. Subie. Elle me faisait mal au cœur. Je me suis approchée avec douceur, je ne me sentais pas de la laisser comme ça. Bêtement, on se dit que partager la peine des autres la leur adoucit, je ne crois pas que ce soit vrai mais j'avais envie de montrer mon empathie, ma ... tendresse. Du reste, elle ne m'a pas rejetée, ni quand je lui ai parlé pour dire des mots inutiles, ni quand je lui ai tendu un mouchoir pour essuyer ses yeux et son nez noyés, ni quand j'ai mis un bras autour de son épaule.
    J'ai repensé aux chagrins d'amour infligés et reçus, ceux que je connaissais, j'ai ressenti un étrange partage, et je l'ai laissée en lui disant un dernier mot d' "encouragement". Je lui avais dit que dans l'avenir blablabla, avec le temps ... ce qu'on dit, souvent, dans ces cas-là ... J'avais en tête la phrase de Jean d'O, tout le bonheur du monde est dans l'inattendu, mais à ce moment précis, ce n'eût vraiment pas été de mise ...

     

    « InterludeLes mouchoirs »

  • Commentaires

    1
    Mardi 12 Décembre 2017 à 07:33

    Je suis fière de ton empathie, on n'ose pas dans un premier temps envahir la souffrance des autres juste par respect ... mais à force, à cause de la durée ... on n'a plus le choix ... une parole, un toucher c'est montrer qu'on peut être présent et partager ... c'est tellement !

    amitié .

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:39

        Quelquefois on se sent mieux de rester en dehors, et quelque fois pas : le corps est parfois incontrôlable, et ses élans et ses retenues. Amitiés.

    2
    Mardi 12 Décembre 2017 à 07:37

    ... tu as agi avec ton coeur et nul doute que ta présence lui a fait le plus grand bien...Quelquefois, il suffit d'un regard, d'un sourire , d'un mot pour poursuivre son chemin...de vie.

    Bises du jour,

    Mireille du sablon

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:40

        Je ne sais pas si je l'ai aidée. Mais au moins a-t-elle vu que sa douleur ne laissait pas indifférent. Bises du jour.

    3
    Mardi 12 Décembre 2017 à 08:06

    Nikole, tu es une bonne personne.

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:41

        Pas forcément, Mario, car mes empathies sont sélectives.

    4
    Mardi 12 Décembre 2017 à 09:40

    Un mélange de respect et d'empathie immense se dégage de ton texte, de la photo. Il est si difficile d'approcher la peine d'autrui, tu as eu avec cette jeune fille, les gestes et mots qui font du bien. Ta vraie compassion fait se sentir si humains.

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:43

        Comme je l'écrivais à Mireille, les élans et les retenues ne se contrôlent guère. Elle était si jeune, je crois qu'en l'occurrence, je me suis sentie maternelle.

    5
    Mardi 12 Décembre 2017 à 10:09
    daniel

    Bravo d'avoir été vers elle.....Je crois que je n'aurais pas osé( toujours les vieilles barrières conformistes). Quelques mots, un sourire peuvent faire grand bien !

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:43

        On n'ose pas toujours, et moi non plus ; il faut faire comme on sent.

    6
    Mardi 12 Décembre 2017 à 10:56

    Deux inconnus, deux sensations identiques. Deux êtres qui pleurent. Chagrins d'amour vraisemblablement. "Fantôme parmi les piétineurs de l'instant". Une très belle expression qui s'accorde au sentiment de solitude que ressentent ceux qui souffrent. Tu donnes ainsi vie au sentiment et au chagrin ressenti.

    Après l'homme, la femme. Comme un parallèle de la souffrance. Pour le premier, tu t'éloignes (pudeur ?), pour la seconde, tu te montres compatissante. Sans doute te sentais-tu plus proche du fait qu'elle était une femme. C'est vrai qu'il n'est jamais facile de s'imposer quand on sent que quelque chose ne va pas. je ne sais pas si je pourrais intervenir comme tu l'as fait. Mais je pense que c'est toi qui as raison.

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:47

        Le premier ? Je sentais, instinctivement qu'il ne fallait pas entrer dan sa sphère ; d'ailleurs la pudeur m'a vite éloignée ; la "petite", c'était très différent, il n'y avait pas une sorte de revendication, juste un désespoir palpable.

    7
    Mardi 12 Décembre 2017 à 12:58

    Belle histoire que tu nous partage. Très CNV ta démarche. Retranscrite avec beaucoup de pudeur. Merci.

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:48

        Tu parles souvent de Communication Non Violente (un lapsus m'avait fait écrire : "non Verbale ... intéressant !) Je voudrais croire que ça fonctionne, mais je ne parviens pas à y croire, avec bien des gens, tout en espérant me tromper complètement).

    8
    Patrick
    Mardi 12 Décembre 2017 à 18:21

    Empathie, compassion , ces brefs instants partagés avec cette jeune femme , et le réconfort si fugace et temporaire fût-il, ( mais pas futile ) que tu lui as apporté portent en eux l'espèce de magie que peuvent revêtir parfois , trop rarement de nos jours , les rapports humains.

    car dans cette scène que tu nous décrit avec tes mots , toujours choisis , toujours précis, il y a une  autre chose importante a mon avis .

    La réceptivité de la jeune femme a fait que ton sens de l' Humain et sa détresse ont pu se conjuguer de façon harmonieuse , un temps donné.

    Tu aurais pu prendre une bordée d'injures , voire d'insultes , te renvoyant a tes affaires " a toi en propre",  et basta , l'affaire était close.

    mais il y a encore parfois , des instants ou deux personnes aux trajectoires différentes et inconnues l'une de l'autre,  3 secondes auparavant se rencontrent , sans se télescoper....

    parfois , c'est beau , la Vie .

    Mais , c'est rare .

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:50

        Je vais me répéter : on fait comme on sent, en fonction des personnes, des situations et ce qu'on ressent. Et si au moins la petite jeune s'est dit qu'elle n'était pas invisible dans sa douleur, c'est déjà ça.

    9
    Mardi 12 Décembre 2017 à 20:33

    ..au sujet de la fresque, elle se trouve derrière le centre St Sébastien , du côté du marché, en remontant vers l'ancienne prison..j'espère avoir répondu à ta question.

    Bonne soirée!

    Bises de Mireille du sablon

      • Mardi 12 Décembre 2017 à 21:09

        Oui ! Merci.

    10
    Mardi 12 Décembre 2017 à 23:48

    Une belle "histoire" et, je n'en attendais pas moins de toi, de la compassion et de l'empathie pour ton prochain !
    La preuve qu'il y a encore des humains sur cette terre

    (Ton lien vers Aminus ne marche pas)

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:53

        Il y a plein d'humains, d'humaines dont les existences nous frôlent, nous touchent, les deux ... Parfois, on espère qu'un échange positif a lieu. Qu'on sert à quelque chose.
        (Merci de me l'avoir indiqué ; j'ai corrigé)

    11
    Mercredi 13 Décembre 2017 à 14:35

    C'est poignant et magnifique. Les deux textes.

    Chaque jour, chaque fois que nous mettons le pied dehors, nous passons à côté de désespoir ignorés. Parfois, l'œil se pose, puis se détourne, histoire de ne pas rajouter au malheur par le poids du regard.

    Et puis parfois, on s'arrête, on laisse ce qu'on était en train de faire et on va à la rencontre de son prochain... parce qu'on s'est reconnue dans sa douleur, qu'on pense pouvoir adoucir l'instant... Parce que quelque chose frémit au fond de soi qui dit "va, donne"...

    Que j'aime avoir découvert ton blog!

    https://youtu.be/3GA0ue9F79o

    Bises émues

     

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:58

        Quelquefois il vaut mieux rester loin, pour l'autre ou pour soi, et quelquefois laisser aller l'impulsion empathique vers l'autre : on ne sait pas, mais il ne faut pas trop y réfléchir.
        Tes paroles, comme toutes celles lues sur cette pages, me sont douces. (Merci ému).

    12
    lylouan
    Mercredi 13 Décembre 2017 à 21:38

    Ton coeur est si bon Nikole, je ne suis pas surprise de ton attitude face à la détresse de cette jeune fille, qui je l’espère parviendra à recoller les morceaux du sien... 

    Je pense qu'à ta place, j'aurais allégé ma conscience d'un sourire désolé dans sa direction, puis j'aurais passé mon chemin (les yeux brûlants, la gorge nouée, les poings serrés) persuadée d'être la dernière personne à pouvoir lui apporter du soutien. C'est toujours mieux que d'aller la rejoindre pour chialer avec elle... 

    Douce nuit ♥ 

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 15:59

        Mon coeur n'est pas toujours bon, tu sais. Seulement quand je sens un élan irrépressible. Chialer avec elle, tu sais, je n'en étais pas loin...

    13
    Jeudi 14 Décembre 2017 à 14:13

    c'est vrai qu'on est témoin de toutes les émotions dans le métro....c'est chouette ton geste

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 16:00

        Irrépressible. Juste ça. Je m'en serais voulu de ne rien tenter. Si jeune, comme sans défense.

    14
    Jeudi 14 Décembre 2017 à 21:18

    La vie, c'est ça, des bonheurs, des douleurs aussi  ... Aider quand on peut ...

      • Samedi 16 Décembre 2017 à 16:01

        ... Tenter ...

    15
    Mardi 19 Décembre 2017 à 10:00

    photo très originale ,j'aime beaucoup

    désolé de passé peu

    ❀Je te souhaite une belle journée et aussi de très bonne fêtes de fin d'année❀

      • Mardi 19 Décembre 2017 à 11:31

        Merci. Pour les passages, tu faiis comme tu veux et peux, Atena, pas de problème ; moi-même, si je passe parfois chez toi, je ne laisse guère de commentaires.
        Belle journée à toi aussi, et que cette fin d'année te soit douce.

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