• Les temps

     

      L'écran blanc

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    La neige est apparue, il y a peu, blanche, puis très vite transparente ... neige pluvieuse, éteinte. Je ne m'étais pas aperçue qu'elle tombait à nouveau, au matin, blanchotte, avant que je ne me retrouve dessous, avec une voisine de l'immeuble avec qui j'ai partagé marche dans la rue, conversation, et trajet commun métropolitain pendant quelques stations. Nous avons parlé, de tout et de rien, de prénoms et d'enfance. De télévision, aussi ... Laquelle de nous deux a bien pu parler de ça et pourquoi ? Mystère et flocons de gomme.
    Une fois nos chemins séparés, j'ai ouvert le livre que j'avais choisi pour ma journée, et sur lequel j'étais tombée sans chercher, dans une pile. Bon format. Pas lourd. Style apprécié. Jean-Philippe Toussaint : La télévisionIl y a longtemps que je ne crois plus au hasard...

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    Le métro s'est muté en train. Qui montait vers le nord. Peu à peu, des paysages d'une blancheur de plus en plus inouïe ont envahi mon regard, un silence de plus en plus épais s'est deviné, en même temps qu'à travers les vitres, je sentais presque la fraîcheur. Vive. Suffocante de force ouverte.

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    Je baissais les yeux vers le texte à chaque arrêt, relevant la tête dès que réapparaissaient des dentelles géantes, -arbres touffus crénelés de givre-, des champs pleins d'absence ou des chemins blancs oniriques s'éloignant vers nulle part. Et puis j'enfermais les images, je serrais mon écharpe contre mon cou. Douceur froide.

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     Je restais presque tous les après-midi à la maison, pas rasé et vêtu d'un vieux pull en laine des plus confortables, et je regardais la télévision trois ou quatre heures d'affilée à moitié allongé sur le canapé, un peu comme un chat. 

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    Je ne faisais rien, par ailleurs. Pour ne rien faire, j'entends ne rien faire d'irréfléchi ou de contraint, ne rien faire de guidé par l'habitude ou la paresse. Par ne rien faire, j'entends ne faire que l'essentiel, penser, lire, écouter de la musique, faire l'amour, me promener, aller à la piscine, cueillir des champignons. Ne rien faire, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer un peu vite, exige méthode et discipline, ouverture d'esprit et concentration.
    J'en étais sûre, ce livre allait me plaire. En tout cas il m'avait déjà fait sourire. Plusieurs fois.

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    Il existe (encore ?) une émission débile intitulée Les enfants de la télé. Avec animateur stupide, rires sur commande de réseau copinage médiatique. J'en dirai d'autant moins que le peu que j'en ai vu suffit à me la faire rejeter en bloc. Enfant de la télé, je le fus, de tous mes yeux, de tous mes rêves, de toutes mes tripes. Années soixante, et peut-être précisément soixante-et-un, si mes souvenirs ne me trahissent pas. Ma grand-mère vient de se voir pronostiquer un cancer sévère. Elle reste chez elle, garde la chambre. En bon fils généreux bien que désargenté, son cadet -mon père- décide de distraire ses journées en lui offrant une télévision et se saigne aux quatre veines pour le faire. Peut-être bien une des premières du village. Ma grand-mère aima la télé, mais plus encore, elle m'en fit -moi qu'elle adorait et aimait avoir près d'elle- découvrir les images, je crois bien, exhaustivement. Il est vrai qu'à cette époque, il n'y avait qu'une chaîne -en noir et blanc- et que ladite ne présentait des programmes qu'une partie de la journée. Il faut ajouter que mes grands-parents paternels habitaient le premier étage d'une maison dont nous occupions le second. Et je me souviens du jeu de portes de l'escalier : ma grand-mère m'appelant, et ma mère levant les yeux au ciel et n'osant souvent rien dire. De la télé des années soixante, j'ai tout gobé : il n'y a pas d'autre mot, j'avalais, et je digérais avec délices, et bien des années plus tard, déformée sans aucun doute, je suis restée longtemps devant des programmes insanes, espérant qu'après, il y aurait quelque chose de mieux, qui me plairait. Quel gâchis, hein ! Oui et non. Ma philosophie de vie, de pensée fait qu'à mon avis -ça m'arrange- rien n'est inutile de ce qu'on vit, et même, même, que tout est porteur, que tout nous sert quand il ne nous enserre pas, à condition bien sûr que cela ne reste pas que zone passive...

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    La culture de l'enfance fonde les bases de la maison adulte : dans cette autre vie-là, à aboutir, tous les doutes arrimés, les colères, les injustices, ont forgé en nous des faiblesses et des forces ; les images vécues ont construit notre paysage mental, et ce paysage-là, à moi qui ne connaissais d'ailleurs que des bords de plages épisodiques -je ne critique pas, j'explique- entre maman-papa-ptit frère, et qui ne lisais pas -je mens, j'avais lu Heidi, et il y avait le Reader's digest à la maison, et plus tard, Tout l'univers, encyclopédie vendue par un démarchage auquel mes parents succombèrent, et je les en remercie, tellement, rétrospectivement- la télévision de ma grand-mère fut le premier lien réel, hormis l'école, instructive mais classique, plus restrictive disons (mais adorée, car j'adorais l'école) avec la culture -on ne rit pas- oui, la culture d'une époque où je découvris le théâtre, le cinéma et la littérature, rien que ça !

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    Je pourrais en parler des heures. Et j'en parlerai sûrement encore, en évoquant La séquence du spectateur, Le théâtre de la jeunesse ou Lectures pour tous. Mais je n'ai que trop parlé déjà. Et puis, j'aime plutôt la concision, aussi. Une chose, cependant : j'ai un jour brûlé ce que j'avais adoré, et la télé d'aujourd'hui est pour moi un ramassis d'insanités gerbatoires, que j'ai sans doute remplacé par l'ordinateur. Mais certains villages, si je reprends l'image d'enclaves d'Astérix, restent des perles de culture, d'apprentissage et de rêve : c'est déjà beaucoup, et je veux rester sur cette note positive pour ce qui fut une de mes fondations!

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    J'avais repris ce billet commencé il y a quelque temps et qui restait en suspension, attente d'images et d'autres mots pour vous l'offrir. Ce curieux mélange de polymorphe lucarne grise et de légers flocons blancs me semblait aussi étrange que l'alliance d'un poisson et d'une bicyclette. Et puis je me suis rappelé une chose ... en ces temps anciens, antiques, où les émissions n'occupaient pas la place vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pendant les période de vacance, l'écran noir des nuits absentes était constellé de myriades de points blancs qui dansaient ... on appelait ça la neige.

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 7 Février 2018 à 19:16

    rien n'est fortuit dans la vie ... cette passante,ce livre, la télé et la neige ont pu te faire sortit de l'oubli ce merveilleux texte en suspens que tu nous transmets ... et qui me rappelle mon enfance sans télévision familiale que nous allions voir de temps à autre chez des voisins ... qui m'a tant appris ... sur le monde vu alors que je ne le possédais qu'au-travers des livres ... 

    Aujourd'hui c'est l'ordi qui éveille nos petits enfants ... et qui nous tient en écho ...

    merci pour ce mot

    amitié .

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:21

        Merci pour tes mots à toi ! Quand j'y pense, que de vies nous avons vécues, nous qui avons connu des temps di changeants, si changés, et une accélération si grande dans certains évènements ; j'ai l'impression d'avoir mille ans. Bonne soirée. Amitiés.

    2
    Jeudi 8 Février 2018 à 06:51

    Tu as dû être contente de voir cette neige. Ici, on en a plein, avec des dodus - 18 -25 degrés.

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:22

        Ouiiiiiiiiiiiiiiiiii, j'ai adoré ! Euh ... c'est quoi des dodus ?

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    3
    Jeudi 8 Février 2018 à 07:38

    ...mon enfance fut aussi bercée par les programmes télé, hélas les repas aussi.

    Maintenant l'ordi a pris la place et c'est tant mieux.

    Faute d'émissions intéressantes malgré la quantité incroyable de programmes, j'ai plaisir à retrouver la lecture..... d'un bon bouquin!

    Bises du jour, sans neige en Moselle

    Mireille du sablon

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:24

        La Moselle sans neige ? Mais c'est le monde à l'envers s'il n'y a plus de neige dans le Grand Est ! :-)
        Le livre ? rien ne le détrônera, en tout cas chez moi ! Bises dominicales.

    4
    Jeudi 8 Février 2018 à 13:02

    La neige est généreuse, elle recouvre tout. Tes mots sont comme des flocons. Les images les accueillent. Faut que je relise du Toussaint. Merci.

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:24

        Merci pour ton message en phrases légères et fraîches.

    5
    Patrick
    Jeudi 8 Février 2018 à 16:56

    Tes mots , toujours aussi captivants évoquent en moi des souvenirs semblables, allant au delà de notre même identité régionale  .

    L'enfance , la neige , la Télé, des grand-parents, tout ça .

    Car c'est aussi chez mes grands parents que j'allais voir certaines choses a la TV : ils l'ont eu, et ont eu un poste avec la 2e chaine avant mes parents.... et la Couleur aussi .

    Époque lointaine ...la séquence du spectateur , devenu ensuite celle du Telespectateur , l' Homme du XXe Siecle, ( qui me fait immanquablement penser a la réplique de Madame Mado dans les Tontons Flingueurs ) , 5 Colonnes a la Une, que j'appelais 5 Colombes dans la lune , la Caméra Invisible , Sports dimanche , puis  Midi Premiere , Saturnin , Kiri le Clown...oui, tout ça revient en vrac , comme des flashbacks de ces periodes heureuses....du moins, souvent heureuses.

    je ne sais pas si on peut affirmer que les programmes étaient mieux ou moins bien, vu le nombre restreint je pense que ça devait s'équilibrer et puis , ... c'était si nouveau , du spectacle a domicile !

    Ca demarrait le matin par la mire  (pour faire les réglages manuels  ) et ensuite pour patienter , l’énorme horloge , a aiguilles , de la RTF , puis l' Ortf.

    et en fin de programme , comme tu l'as rappelé , la Neige .

    pour ma part, j'ai beaucoup aimé la période ou avant la neige , la 2e chaine nous proposait un "au revoir" avec les hommes volants de Folon....

    juste pour s'en souvenir ....

    https://www.youtube.com/watch?v=Mzy9GGbcvSI

     

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:27

        J'ai mis en route une fois de plus ta machine à souvenirs, cher Châlonnais (exilé...) ... tant mieux ! J'aime faire ça ! Les bonshommes poétiques de Folon, aucun générique n'a jamais pu les égaler ... je pense d'ailleurs que Folon était un personnage essentiellement poétique.
        Merci pour ce long message que j'ai lu avec délices, des grandes orgues :-)

    6
    Jeudi 8 Février 2018 à 19:51

    Ah dis donc !!!!! Quel texte !!!!! C'est bon,parfois,de laisser dormir les choses pour pouvoir ensuite les finir de telle façon .....Talent de l'autre coté ..Talent ici .....Et tous ces souvenirs que Tu brasses...Et toutes ces vérités que Tu balances .......Voilà bien quelque chose qui vient d'illuminer ma soirée .....Bises,Nik' ...

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:29

        Vous ici, cher ami ! Merci d'avoir fait le voyage d'Aminus. Tu as une légère tendance à l'hyperbole, mais un petit gonflement épisodique d'ego me fait plaisir, et sourire ; alors merci pour ton enthousiasme bienfaisant !
        Bises, Steed !

    7
    Vendredi 9 Février 2018 à 10:50

    J'adhère complètement au commentaire de STEED... Ton billet est une merveille ! Faut que ce soit une merveille pour que je le lise jusqu'au bout, moi qui n'ai aucun souvenir d'enfance, et qui déteste la neige !...

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:31

        Eh bien, de quoi me couper le sifflet ! C'est bien sûr ton commentaire qui, bienveillant lui aussi, est merveilleux ; je t'embrasse Eva, en te remerciant.

    8
    Vendredi 9 Février 2018 à 11:45

    Nous avons une chance énorme, il me semble, celle d'avoir un ordinateur et de choisir en replay les programmes qui nous intéressent. Pas de publicités, pas de fous furieux ou de vilains et vilaines dans notre salon, rien que ce et ceux que l'on choisit... La vie n'est-elle pas formidable vue sous cet angle ? Doux week end Nikole, à bientôt.  brigitte

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:33

        C'est vrai, mais j'aime bien aussi découvrir quelque chose, là, quand j'en ai besoin, sans replay. Comme le film du dimanche soir par exemple. Ce soir, pour moi, ce sera Lino Ventura ... je ne m'en lasse pas ! :-)
        Bonne soirée dominicale à toi et à bientôt !

    9
    Vendredi 9 Février 2018 à 14:48
    daniel

    A ce petit train au moment de l'interlude !! En attendant les photos sont fort belles !

      • Dimanche 11 Février 2018 à 20:34

        Oui ... le petit train de Maurice Brunot ... Souvenirs souvenirs. Et merci pour le compliment relatif aux images !

    10
    Mercredi 14 Février 2018 à 13:38

    Vos photos sont très belles ; le blanc et la neige, c'est vraiment reposant !

    Et puis merci pour l'évocation de tous ces souvenirs ( que je partage en partie ;-) ) du temps où la télévision ne nous abrutissait pas mais instruisait et détendait. Merci à vous ! 

      • Mercredi 14 Février 2018 à 14:13

        Bienvenue chez moi ! Et merci -infiniment- à vous d'avoir laissé des mots ici. Bonne journée !

    11
    Samedi 17 Février 2018 à 16:37

    Chez moi la télé est arrivée le jour où l'homme a marché sur la lune, elle était énorme, en N&B bien sur et dans la chambre des parents.
    Puis,plus tard, comme une "plus neuve" est arrivée, celle-ci s'est retrouvée au sous-sol de la maison ou nous avions notre "terrain de jeu" et nous y regardions Zorro (le vrai en N&B, pour moi il ne pouvait être en couleurs puisque la télé était en N&B !) et parfois les petits voisins venaient nous retrouver pour  regarder ce feuilleton !

    Souvenirs d'une époque ou il y avait de la neige à la télé et aussi dans les rues, concours de luge dans la rue avec une forte pente et presque pas de voitures !

    Belles photos et texte !

      • Samedi 17 Février 2018 à 16:47

        Merci d'avoir ajouté ta poignée de souvenirs neigeux et télévisuels à ceux des autres, et aux miens. Ce que je ne comprenais pas, moi, dans Zorro, c'était pourquoi personne ne se rendait compte que c'était lui alors que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure : chercher réponse à cette question m'a toujours rongé l'entendement.
        Merci d'avoir apprécié ce billet, et d'être passé y laisser tes mots, toi qui sembles avoir une vie, très, trop pidante pour parvenir à suivre régulièrement les diverses divagations bloguesques ...

    12
    Mercredi 21 Février 2018 à 09:56

    Ah que j'ai aimé lire et regarder tout ça! Tes images sublimes, ce livre (tu m'as filé une furieuse envie de le lire) et ces souvenirs télévisuels en noir et blanc, quand je pleurais pour Belle et Sébastien ou tremblais devant Belphégor! Zorro, oui, je me suis posé la même question wink2 Et je crois bien que mon premier coup de cœur pour un acteur fut pour Steve McQueen dans Au Nom de la Loi! Merci pour ce joli voyage en petite enfance ^^

      • Mercredi 21 Février 2018 à 14:23

        J'ai pleuré, aussi, devant "Belle et Sébastien" ; aimé, aussi, Joss Randall !! Comme ça me fait plaisir de partager tous ces souvenirs avec les ceusses qui passent ici. Merci à toi d'égréner quelques jolis souvenirs.

      • Mercredi 21 Février 2018 à 18:03

        Au-delà des souvenirs, j'adore ton "tout nous sert quand il ne nous enserre pas", tellement juste!

      • Lundi 12 Mars 2018 à 13:59

        Ton codicille m'avait échappé ! Je le ponctue d'un tendre sourire.

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