• Mémoire du ressac

      

     Ressac

        Des heures. Je passais des heures devant l'écran dans les archives de mes images, jetant, indexant, traitant de-ci de-là au passage une scène, un visage ou un paysage. Je brassais de la rocaille avec une cuiller, mais ce n'était pas une tâche, j'avançais, je me baladais, je redécouvrais, je découvrais, même, tant il est vrai que plusieurs milliers de photos ne peuvent toutes s'imprimer dans une mémoire humaine. Plus tard, bien plus tard, il y en aurait beaucoup moins. Strates ou spirales. Enfer ou paradis. Différence d'appareils, de plus en plus accordés à mon regard au fil des changements. Je rattrapais le coup, je sauvais de vieilles vues dont le seul défaut était dû à trop peu de lumière, je recadrerais, j'arrangerais à ma manière de béotienne technicienne, mais avec une ferveur festive se foutant bien du reste. Ma patience se lassait moins vite que mes genoux arrimés aux crampes, fixes et raides, lourds de fourmis, tandis que ma nuque tendue elle ne souffrait même pas. Je classais, encore une case, encore un mois, une année, j'étais sur une pente, et puis je me suis arrêtée là, fatal, final, c'était une belle fin de soirée pour transporter les rêves, peut-être les transmuer. C'est devant cette vision déjà ancienne que j'ai levé les mains du clavier, devant cet horizon d'un bleu profond comme un baiser, cette ligne si présente et qui me fit songer à un filage, un tissage de cyan, une machine à ciel, un mirage d'azur sombre. Me revint alors à l'esprit ce livre que j'avais lu, racontant la couleur bleue, le pastel. Sûr, j'allais le relire, mais je cherchai une phrase, au hasard, et tombai sur celle-ci, et qui sera le fil qui brode cette page : Au teinturier de mérite, la couleur fait toute réponse, il n'est rien qu'il ne trouvât chez elle. Apprends la couleur, chéris-là : elle te prouvera la vanité de l'argent, des égards, de tout ce dont l'homme commun fait son miel (O. Bleys, Pastel).

     

    Post-editum (9h) : Hasard pregnant des retrouvailles de papier, je tombe ce matin sur un court texte sans date, et qui suit selon moi le sillage de l'image bleue, en vertu de ressentis qui peuvent nous habiter alors :


    L'homme est venu ici vivre son crépuscule.
    Loin des siens, loin de lui-même peut-être, il écoute battre l'océan.
    Mais le mouvement s'est arrêté, qui ruisselle de moments inachevés où le temps passe avec son silence.
    L'homme marche, et aucun son ne bruit.
    Est-il devenu sourd ?
    Il s'est retourné, il a cherché à l'horizon une marque de vie, même loin, même vague.
    Mais partout retentit l'infini de l'absence.
    Alors il courbe la tête, résigné, quand une chaleur orange, douce et déterminée, envahit sa nuque : le soleil est là, qui résonne, gong de sa vie.

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 5 Juillet 2020 à 07:21

    Un cliché superbe qui me rappelle les plages désertes de mon enfance (à l'époque, même le dimanche, il n'y avait pas foule). La mer, étale, lisse, bleue, le sable fin glissant entre les orteils, les coquillages échoués à ras l'eau que je dénichais entre les algues brunes perdues sur la bordure et que le ressac ne faisait même pas frémir. La mer, c'était également un silence différent, seul le glissement des vagues émettait comme un frottement léger dans ses allers et retours à ras la plage. Un peu comme une berceuse venant envahir mes rêves d'horizons calmes et différents...

    Je n'ai pas de photos autres qu'en noir et blanc : mon père nous fixait sur la pellicule, Maman sous le parasol nous surveillait du coin de l'oeil. C'est bien loin tout cela...

    Je vois que tu tentes de trier, d'ordonner tous tes clichés, de les ordonner pour ensuite les ponctuer dans le temps. Un travail de titan. Bon courage.

      • Dimanche 5 Juillet 2020 à 09:13

        Grand merci à toi : c'est toujours un plaisir de te lire, de lire celles et ceux qui passent ici et racontent, partagent, avec mes images ou mes mots. Titanesque oui, de dénouer les fils d'un monde de pelotes entrelacées ... dans mon capharnaüm, j'ai retrouvé d'anciens mots à moi, après ton passage ; je les ai ajoutés.
        Bonne journée à toi à tes beaux souvenirs.

    2
    Dimanche 5 Juillet 2020 à 14:10

    Belle plongée dans tes archives (septembre 2012 ...)
    J'avais posté ma version ici

    Un ciel bien tourmenté, mais bleu !

    Bon rangement, bon dimanche.

      • Dimanche 5 Juillet 2020 à 19:11

        Comment as-tu fait pour retrouver ça aussi vite ?
        Je ne me souvenais plus de ta version (je préfère la mienne :-) !)
        Merci ; bon dimanche à toi aussi.

    3
    Dimanche 5 Juillet 2020 à 18:16

    tout est bon chez toi même tes souvenirs revisités mais plus que tout j'apprécie la dernière phrase ... "le soleil est là, qui résonne, gong de "ma" vie" !!!!

    amitié .

      • Dimanche 5 Juillet 2020 à 19:12

        Compliment touchant ô combien ! Ravie que tu aies fait tienne ma dernière phrase :-)
        Amitié.

    4
    Lundi 6 Juillet 2020 à 01:34
    Michael Rawluk

    Well that is such a beautiful shot. I love it.

      • Lundi 6 Juillet 2020 à 08:18

        C'est si gentil d'être venu voir de ce côté-ci de mes blogs, je  suis très touchée, grand merci Michael.
        It's so nice of you to come see this side of my blogs, I'm very touched, thank you Michael.

    5
    patrick
    Lundi 6 Juillet 2020 à 06:11

    Une photo qui à première vue semble bien ordinairement belle.

    Mais les nuances de bleus (50 Shades of Blue ?) mènent le regard vers cet horizon perturbé.

    Mettre de l'ordre dans son passé , que ce soit par le tri d'objets désuets , franchement ringards ou juste devenus inutiles , ou par la tentative ardue de trier, classer et / ou  ordonner ses photos est une tâche difficile , tant le malaxage  des émotions que cela provoque est , disons le, un sport extrême avec ses vertiges , ses peurs , son adrénaline. Et ses risques .

    Bien sur , ça dépendra aussi et avant tout de ce qui est couché sur la pellicule , ou pixelisé sur l'écran du pC.

    Mais un paysage aussi simple soit-il évoquera à coup sur les avec qui , où et quand ?  la photo a été prise. Emotions garanties aussi.

    Remuer , à grandes brassées, autant de passé et de souvenirs ,  est une activité d'ancien : il faut de la matière et encore un peu de mémoire.

    Ensuite , c'est sa propre porosité aux présages qui entre en jeu ( si c'en est un .. )

    ici , sur ta photo, l'horizon assez proche se prend une pluie carabinée ......reste alors  à savoir d'où vient le vent .

     

     

      • Lundi 6 Juillet 2020 à 09:40

        Tu as amplement raison sur tout ce que tu dis là, et tu le dis très bien, avec l'intelligence judicieuse et réflexive qui te caractérisent, et cette sensibilité mammouthesque à peine cachée derrière ;-). Quant à mes photos ... Et encore, à quelque chose près, je me limite au numérique, donc à du relativement proche. Mais même là hein ! ... 
        Grand merci patrick, je t'embrasse.

    6
    Lundi 6 Juillet 2020 à 09:32
    daniel

    Le genre de photo que j'apprécie. J'ai l'impression de bien respirer et mon regard se perd derrière l'horizon. 

    A moi les grands espaces, le vent du grand large. Vive la liberté !!

      • Lundi 6 Juillet 2020 à 09:35

        Merci Daniel.
        Ciel que cette liberté-là fait de bien !

    7
    Vendredi 10 Juillet 2020 à 11:40

    C'est beau, c'est doux... On dirait un Franco Fontana... 

    (au fond, on voit bien "les jambes de la pluie"...) quelle merveille d'avoir saisi tout ça...

      • Vendredi 10 Juillet 2020 à 11:51

        Quel beau compliment Eva ! Je t'en remercie♥ !

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