• Mémoires

    Albertine (disparue)

     

    De cette époque où nous avions dix-sept ans, et où nous étions sérieux, je me rappelle bien des images de soleil d'été dans la campagne bourguignonne, à Morteuil. Mais l'une d'elles est très présente dans mon souvenir. Nous plantions alors nos tentes dans un jardin, derrière la maisonnette d'une petite vieille qui ressemblait à un lutin. Menue, alerte, sans doute avec un caractère trempé, il en faut pour se débrouiller seule dans une maison et un jardin à tenir à la campagne, même si dans mon souvenir, elle était souriante et douce. Même polis et relativement calmes, la petite bande d'ados que nous formions alors devait drôlement déranger sa tranquillité et le rythme de ses journées. Je me rappelle encore un intérieur simple, en ordre, clair ; et sur elle, une robe à fleurs, un tablier, et un fichu. Dans ma tête, tout est couleur pastel brillant, sans doute à cause du soleil, seul temps que je me remémore d'alors, ou seulement à cause des souvenirs, qui sont parfois de cette teinte-là. Bien après, bêtement, j'ai demandé à l'amie qui m'avait invitée là-bas comment elle allait, la petite vieille bourguignonne, comme si, à l'instar de certains souvenirs, certaines personnes étaient immortelles. Mais l'Albertine, il y avait longtemps qu'elle n'était plus.

     

    Mémoires

     

    On n'est que par ce qu'on possède, on ne possède que ce qui vous est réellement présent, et tant de nos souvenirs, de nos humeurs, de nos idées partent faire des voyages, loin de nous-même, où nous les perdons de vue. (Proust, Albertine disparue)

     

    Agnès Obel, Falling catching

     

    Photo : Zofia Rydet, cueillie il y a peu sur un mur de son expo actuelle au Château-musée du Jeu de Paume de Tours. La Pologne à travers ses gens. Images plus ou moins anciennes, dont je vous parlerai sans doute encore, et qui ont fait naître en moi de fortes émotions. C'est après l'avoir vue, bien après, en regardant cette photo-là, que me sont revenues des images anciennes de l'époque évoquée, et le souvenir présent d'Albertine.

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 1er Mai 2017 à 15:08

    ♥ pfiou ♥

    Les souvenirs ont une couleur pastel brillant ensoleillé, je confirme - et ce qui est curieux, c'est que les photos sépia ou NB d'autres temps portent en elles cette couleur : c'est dans le ♥ que ça se passe, je crois.

    La musique est tellement ad hoc.

    Je pense "bonbons" en repartant d'ici, hé hé

      • Mercredi 3 Mai 2017 à 20:31

        Ton commentaire m'enchante. Je t'embrasse.  :-)

    2
    Lundi 1er Mai 2017 à 20:02

    Mon Albertine, s'appelait Lauredda, Laure en corse. Elle avait la même allure devant sa petite maison de pierre. Les souvenirs reviennent alors aussi...

      • Mercredi 3 Mai 2017 à 20:24

        C'est touchant d'entendre évoquer ton souvenir à toi...

    3
    Mardi 2 Mai 2017 à 12:17

    Il y a ce que l'on croit posséder et ce qui nous appartient réellement à chaque instant présent. Pftt, c'est déjà passé.

      • Mercredi 3 Mai 2017 à 20:23

        Le présent est fragile. Et précieux. Les souvenirs sont précieux. Et parfois très forts.

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    4
    Mardi 2 Mai 2017 à 17:58

    c'est vrai nous avons été jeunes ... nous en avons engrangé des souvenirs qui nous paraissent encore si présents ... qu'on a peine à croire que ceux qui les habitent ont cessé d'être ... 

    amitié .

      • Mercredi 3 Mai 2017 à 20:26

        C'était bizarre d'avoir posé cette question, hors de toute raison. C'est comme les rêves et les films, les souvenirs : la personne est toujours là.

    5
    Mardi 2 Mai 2017 à 23:03

    Ben non, Albertine n'est pas disparue... La preuve, elle vit dans ton souvenir... Les gens ne meurent pas tant que quelqu'un peut parler d'eux encore... Peut-être que c'est un peu "gnan" comme remarque mais c'est mon credo (depuis toujours) et ce qui me glace le sang, ce n'est pas de penser aux morts que j'aime, mais plutôt de savoir que qu'ils disparaîtront vraiment tout à fait lorsque je ne serai plus là pour les évoquer.

      • Mercredi 3 Mai 2017 à 20:30

        Ben non, ça n'a rien de gnan-gnan, bien au contraire, c'est une très belle idée. Et tu me fais (re)penser que pour les descendant(e)s, au moins, les photos qui restent d'eux sont un peu là pour ça, aussi...

    6
    Mardi 2 Mai 2017 à 23:30

    Une belle histoire très touchante racontée avec talent et une belle expo photo à voir !

      • Mercredi 3 Mai 2017 à 20:28

        Je suis touchée qu'elle te plaise. Quant à l'expo, on ne peut qu'encourager les amateurs/trices à aller la voir (comme d'ailleurs toutes les expos photo des musées du Jeu de paume, à Tours ou à Paris.

    7
    Vendredi 5 Mai 2017 à 21:11

    "Dans ma tête, tout est couleur pastel brillant, sans doute à cause du soleil, seul temps que je me remémore d'alors, ou seulement à cause des souvenirs, qui sont parfois de cette teinte-là.". C'est beau. 

    Le récit de ton souvenir m'a touchée, il a réveillé l'Albertine qui continue d’exister dans mon coeur en me faisant cramer des cierges dans les églises alors que je n'ai pas la foi... ;)

     

      • Samedi 6 Mai 2017 à 09:56

        Merci !
        Raconter ses souvenirs, certains en tout cas, touchent les autres personnes dans un coin similaire du cœur, de la tête. Comme des émotions universelles. Peut-être qu'un jour je parlerai d'une autre grand-mère, la mienne.

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