• Tous ceux qui

    Guerres

    C'est le Onze Novembre et comme je fais (trop) peu attention aux dates, je ne m'en étais même pas aperçue avant hier soir. Signe que la vie passe en gommant les choses, petit à petit, même si c'est pour les remplacer par des faits tout aussi tristes et difficiles à supporter. C'est le rappel d'un armistice, celui de la première guerre mondiale et ça paraît si loin de nos esprits. L'époque à laquelle on vit parle beaucoup plus de la seconde (deuxième ?) guerre, parce qu'elle est plus proche de nous, qu'elle a des blessures et des souvenirs dans les familles d'aujourd'hui encore, et qu'il y a eu la Shoah, très présente au cinéma et dans l'esprit et les discussions.
    La première guerre, pour moi, ça reste les Poilus, les films en noir et blanc où de pauvres bougres de chair à canon vont se faire défoncer la tronche à coups d'obus et reviennent, quand ils reviennent, la gueule cassée ou amputés d'une jambe. C'est aussi la mort délibérée de ceux qui désertent ou désobéissent : je n'ai jamais compris cette cruauté ajoutée à celles qu'on leur infligeait alors (je me souviens de ce livre : Le pantalon, fiction mais qui rend compte de cet état d'esprit, et qui avait donné un film poignant).
    Quand j'étais jeune, le souvenir de la guerre, la deuxième, était très présent et douloureux dans ma famille : elle avait volé deux enfants sur trois à ma grand-mère, même si ces arrachements étaient différents : mon oncle Paul de vingt ans, a été pris par la gestapo et est mort dans un camp, on ne pouvait pas parler de lui, c'était tabou ; quant à ma tante Hélène, qui avait dix-huit ans à la Libération, elle est partie avec un G.I., et on ne l'a revue qu'une ou deux fois, dans de tristes manifestations familiales. Mon père, le petit dernier, est resté avec la douleur de ses parents et avec la sienne, lui à qui on avait arraché un frère aîné qu'il n'avait pas eu assez le temps d'aimer. Je suis sûre que le mal-être permanent qui l'habitait est né de ça, des méfaits de la guerre.
    Toutes se ressemblent en cruauté, en inhumanité et en injustice. On ne sait finalement jamais pourquoi elles commencent à tel ou tel moment. Parce qu'en fait, elles sont permanentes, loin ou près, déclarées ou insidieuses. Nous sommes en guerre, sans cesse. Pour l'argent, le pouvoir et par la démesure d'idées folles. Par vanité de se prendre pour Dieu et de détenir la Vérité. À croire que foncièrement, l'Homme est mauvais, ou de nature à faire mourir ceux qui ne réclament que de vivre en paix.

     

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                                            La©ération par le Krop

     


    Soldiers of peace (Crosby, Stills, Nash and Young)

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 11 Novembre 2015 à 10:02

     Une image déchirante qui fait réfléchir. Quant au film, jamais vu. La question que tu évoques en effet parfois est tellement frontale : "lhomme est il fondamentalement mauvais ?" On a envie encore d'y croire, de déchirer ce visage de la tristesse pour tenter de révéler un autre.

    2
    Mercredi 11 Novembre 2015 à 13:33

    Merci pour ce commentaire, et pour ta fidélité ici, Thierry.

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    3
    Mercredi 11 Novembre 2015 à 15:48

    Chez moi c'était plutôt de la "grande guerre" dont on parlait (ou pas), avec un arrière grand-père revenu sans sa jambe, un grand-oncle disparu, un grand-père blessé et prisonnier, des grands-parents dont le village avait été totalement détruit (en Meuse), relogés dans les maisons construites à la va-vite, les dommages de guerre comme ils disaient. Celle de 40, mes parents étaient enfants puis ado, alors les privations oui, mais pas de disparus cette fois là ! Et faut pas croire que ça se soit arrêté là, mon oncle a eu la chance (?) de faire son service en Algérie (il en est revenu malade et n'en parle jamais), et si l'on fait un peu de recherche généalogique, on perd la trace de ma famille vers 1870 en Moselle lors de l'annexion de cette région.....
    La guerre, enfants on y joue, adulte on en meurt, c'est plus du jeu !
    Pour moi il y a longtemps que ce monde est fichu et que l'on laisse une belle planète à nos enfants !

    Bref, heureusement il reste les fleurs, les chatons, le vin et la télé ...

    Belle photo lacération bien traitée en N&B, très de circonstance.

    (Désolé si mon com est bien sombre)

    Bonne journée

      • Mercredi 11 Novembre 2015 à 17:24

        Certes, ton commentaire est sombre. Accentué encore par la phrase désabusée de ce qui "reste" ... Mais mon billet de ce jour n'appelait pas forcément à dire de réjouissants propos. Merci de nous avoir raconté un bout de ton histoire à toi.

    4
    Jeudi 12 Novembre 2015 à 09:07

    Je ne sais pas si l'homme est foncièrement mauvais, mais ce qui est sûr c'est qu'il est assoiffé de pouvoir et ça c'est la pire des choses… 

    Ton image est très parlante et déchirante

    Merci

      • Jeudi 12 Novembre 2015 à 18:19

        Merci beaucoup pour ce commentaire, Jackie !

    5
    Jeudi 12 Novembre 2015 à 12:16
    Marco Carbocci

    Répondant à Hobbes, pour qui l'homme était "un loup pour l'homme", Jean-Jacques Rousseau énonçait le principe de l'a-moralité de l'humain. Pour lui donc, l'homme n'était ni bon, ni mauvais : c'était la société qui le poussait dans l'une ou l'autre direction. Rousseau donc se refusait à déclarer l'homme naturellement mauvais... et, sur ce constat, des générations d'enseignants se sont autorisés à apprendre à leurs écoliers que l'auteur du "Discours sur l'inégalité" avait déclaré que l'homme était bon. Étonnant raccourci, non ? Qui nous ramène toujours à cette vision hyper manichéenne de l'humain. Une vision dont notre époque est particulièrement friande : si tu n'es pas pour, tu es forcément contre et inversement. Modeste émule de Rousseau, je crois que la réalité est infiniment plus complexe. Mais ton texte et les commentaires qui lui répondent m'imposent une autre réflexion : nous sommes la dernière génération, je le crains, qui donne du sens et un vécu personnel aux deux dernières guerres mondiales. Comme la plupart des intervenants, j'ai un grand-père qui s'est battu en 14-18 (15-18 en vérité : c'était en Italie) et des parents qui ont connu et résisté à l'occupation nazie. Qu'en est-il des générations actuelles pour qui ces deux événements ont à peu près autant d'actualité et de retentissement que les guerres napoléoniennes ? Même la Shoah est mijotée parfois dans les sauces les plus indigestes, récupérée par ce discours manichéen que j'évoquais plus haut. Les piètres penseurs d'aujourd'hui ont évacué le vécu pour ne s'attacher qu'à la symbolique partisane. Cela ne rend pas l'homme mauvais à mon sens : cela le rend plutôt incapable de penser le souvenir s'il ne l'a pas vécu à la première personne.

      • Jeudi 12 Novembre 2015 à 18:23

        Merci pour ce très long commentaire. Sans doute la réalité est-elle complexe -la nature humaine !...- mais en l'occurrence, mes propos sont peut-être un tantinet désabusés, et dans ces cas c'est simple ... c'est noir !  :-)
        Je suis d'accord avec le fait que pour les "jeunes" tout ça est abstrait. Il est vrai que jeune, on pense parfois que le monde commence avec soi ...

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