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éKlats 40/52
Au dormir, enfin, juste un tout petit peu avant, précisément, il y a cette vague frange de doute inquiet où l'on se demande si on va, justement, parvenir à vite sombrer dans le sommeil. Inquiétude étrange, quand habituellement on franchit la lisière mi-réel mi-rêve avec une régularité confondante. Et pourtant, il y a cette traversée du gué dont on craint toujours l'eau et dont on espère le vague courant bénéfique. L'inquiétude véritable, c'est celle du réveil nocturne ... et l'insomnie toujours potentielle qui en découle ...
Jour de semaine, petit matin, rue calme. Vers le labo où je vais faire ma prise de sang, je ne rencontre presque personne. Dans la salle d'attente des piquouses, personne ne bouge ni ne dit mot. Aux entrées et aux sorties, des bonjours et des au revoir ponctuent le mouvement de la porte. Et je suis étonnée de cette normalité. Reposante.
En rentrant, je chope au passage l'image d'un homme qui lit, crayon à la main, simple scène qui me ravit et me rend des instants d'espoir ... c'est comme ça, chaque fois ... je ne vais pas bouder mon plaisir. Drôle de plaisir.Dans le hall de mon immeuble, j'avise une petite nana assise par terre en train de travailler, stylo à la main, penchée sur un cahier. Je lui demande si ça l'intéresse que je lui donne un peu de cahiers, carnets, car j'en ai plus que je ne saurais en utiliser. Elle refuse poliment en me répondant qu'elle n'en a pas besoin. Je suis abasourdie. On m'aurait proposé ça à sa place -autres temps, autres mœurs, autres fonctionnements- j'aurais arboré un sourire jusqu'aux oreilles en acceptant avec plaisir et reconnaissance. Si ça continue comme ça, mes filles finiront par en hériter, de toute ma paperasse vierge ...
Apprendre la mort de Michel Blanc au détour d'un post inattendu sur le Net : monnaie courante à présent. Tristesse parce que j'appréciais l'acteur (en tout cas dans ses rôles dramatiques !); et puis je pense, via ce que je l'ai entendu dire dans ses interviews, que c'était un type bien. En plus, brrr ! ... en constatant qu'il est, à deux ans près, de ma génération, et qu'on glisse vite, si vite, parfois, vers le grand néant !
Plus tard : ... et mourir d'un truc rare, comme ça ... il est des morts dont on a envie de dire qu'elles sont bêtes (comme si les autres ...) Ne jamais oublier que le fil de la vie peut être tranché en une seconde, ce qui n'est pas une raison pour se laisser terroriser par l'idée de la mort, mais en est une bonne pour relativiser certains malheurs et glorifier la santé quand on a le privilège inouï de jouir de la force de vivre qu'elle nous donne encore !
J'ai ouvert le tiroir et j'ai vu qu'un bol avait été brisé ... moi et mes gestes doux sans doute ... les objets aussi ... Celui-là était juste beau, pas grave ... d'autres, symboliques, et qui nous suivent depuis longtemps, se brisent aussi.
Les souvenirs qu'on a, eux, ne se brisent jamais.Mon cœur déborde si souvent : ma grande est repartie (du train qui passe, là-bas, on peut voir ma terrasse, où chaque fois j'agite candidement les bras ... et d'ailleurs, pour une fois, j'ai été visible), la petite va venir. Ma ville, mon atelier, sont devenus un point d'ancrage régulier : rire, discuter, consoler, partager, requinquer, raconter et tant d'autres actes, sentiments qui m'animent alors ... Aider ? je voudrais être un socle solide sur lequel s'appuyer quand on a besoin de moi ... aider/aimer Elles et Lui plus que je ne m'en sens capable parfois, craignant parfois la maladresse, le décalage, ayant l'impression parfois de vouloir ménager comme si c'était ma mission, culpabilisant sans doute plus que de raison pour bien des choses. Pourquoi les êtres qui m'entourent de si près sont-ils si sensibles ? Pourquoi le suis-je ? Comment faire en sorte que ça ne desserve pas leur et mon quotidien, parce que si c'est probablement une preuve d'humanité, sans doute aussi cela peut-il faire souffrir, et si je supporte pour moi, j'ai du mal à supporter pour ceux que j'aime. L'amour suffit-il ? Peut-il être déraisonnable, excessif ?
Cela fait quelques semaines qu'elle erre dans mon quartier, souvent assise par terre près du monop. Sa grosse touffe de cheveux-queue-de-rat me dérange, précisément parce qu'elle m'évoque un rat. Elle ne demande rien, parfois elle est prostrée et parfois elle dévisage les passants, d'un œil lointain, peut-être désespéré.
Ce matin je m'approche d'elle sans savoir si je fais bien. Je lui demande si elle veut un peu d'argent. Alors elle tend sa main. Remercie d'une voix empâtée, qui me fait présumer qu'elle appartient sans doute aux quelques baladants du quartier déambulant le jour et rentrant à l'hosto psy proche la nuit. Je ne sais pas quoi dire, quoi faire. Sans réfléchir, je prends sa main et plonge mes yeux dans les siens. Elle a un regard bleu lagon d'une profondeur abyssale qui ne me quitte pas. J'ai envie de pleurer. Notre bref échange de regards dure une éternité. Je lui dis quelques mots stupides genre courage il ne faut jamais lâcher jamais. Je suis ébranlée je ne sais comment communiquer ni faire plus. Je me sens à la fois impuissante, triste et révoltée, je ne sais pas trop par quoi. Mes interrogations. Ce monde. Sa souffrance. Ses absurdités.Ce blog est décidément devenu un journal des plus intimes. Je n'écrirai peut-être jamais plus (pluss !) que ce que je (me) raconte ici mais ça a moins d'importance qu'avant : on s'exprime comme on peut, où l'on peut, et si c'est lettre morte, ça reposera ainsi.
C'était le jour ... en passant près de l'immeuble de feue-Claudine, j'ai constaté que les nouveaux locataires avaient posé leur patte : rideaux, cuisine aménagée ... je suis curieuse de ce qui se passe derrière les fenêtres ... j'aimerais être passe-muraille, invisible, et savoir ce qui se trame, partout ...Une fois de plus, je me suis arrêtée devant la vitrine à l'ange. Se méfier de mes coups de cœur ... La dernière fois la tentation a été tellement forte que je me suis retrouvée à enchérer à Drouot -qui l'eût cru !- et acquérir le buste enfantin qui prône aujourd'hui sur le meuble de la grand-mère. C'était un petit coup de folie. Que je ne regrette pas une seconde.
Il fait froid. D'avoir écrit ces choses, plein d'images me viennent en tête et abreuvent mon regard. Longtemps j'ai haï les dimanches, maintenant, si mélancolie il y a, elle n'est plus malheureuse : demain il y aura encore des lundis libres, si persiste la Vie, et les dimanches sont désormais des jours presque comme les autres. Il fait froid. Je vais me pelotonner quelques instants en boule sur le canapé, tasse brûlante entre les doigts, et laisser sourire en moi le visage des êtres aimés. J'ai envie de musique douce ...
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Commentaires
En prenant de l'âge, on devient moins solide devant les émotions... On se maitrise moins et on ressent davantage les évènements tristes...
Très bonne journée
Combien de ces gens proches et de ces personnages publics, chanteurs, acteurs, etc... que nous avions connus, ont disparus ? On se retrouve seul au milieu de jeunes inconnus, dont on pense qu'ils sont sans âme, sans saveur, sans présence autre que fantomatique...
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Jeudi 10 Octobre à 11:26
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3patrickLundi 7 Octobre à 17:00Oui, les émotions avec l'âge...ça devient aussi pour moi quelque chose de difficile à (di)gérer. Tant de choses , de quelque nature que ce soit, pour peu qu'elles fussent chargées de la moindre émotion passée ressurgissent fortement, et tres souvent me mettent à 2 doigts de pleurer. Erik Satie va m'y aider un peu aussi en rédigeant cette réponse , Jack me l'ayant fait découvrir il y a quelques lustres, et plusieurs candélabres , c'est devenu comme un refuge , au delà de Todd, de Magma , de Patti, des Doors et tant d'autres. Une Gnossienne, ou Gymnopédie , seul , pour me remettre la cervelle dans le bon sens ( s'il en existe un , d’ailleurs ). Michel Blanc qui meurt, sans dire que j’irai porter des fleurs chaque jour, était quelqu'un qui avait apporter quelque chose au Cinéma, m'amusait et me faisait rire différemment d'autres acteurs comiques, jouant des caractéristiques de son vrai personnage. Et surtout, il était discret, et n'envahissait pas l'espace médiatique à tout bout de champ: je suis sûr que c’était un mec bien. il y en a peu, je crois .
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Jeudi 10 Octobre à 11:31
Est-ce que notre trop-plein émotionnel actuel a souvent une résonance avec des éléments de notre passé ... je ne sais pas, je n'avais pas vu ça sous cet angle (en plus) ... et je ne sais pas. Je pleure facilement c'est vrai. Plus qu'avant ? Peut-être plus "vite" qu'avant ...
Satie est dans ma vie depuis le CM2, et je visualise encore ce jour de Radio scolaire où je l'ai découvert grâce à ça.
J'avoue avoir toujours été assez peu sensible à l'humour des "Bronzés", ce qui ne m'empêchait pas d'apprécier son jeu d'acteur, mais moi, c'est dans "Monsieur Hire" que je l'ai vraiment admiré. Et ... oui, un acteur assez discret pour ne pas remarquer cette qualité appréciable.
Merci.
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En guise de commentaire, je te mets la référence de mon blog. Il s'agit d'un billet où je parle de toi, de ce que tu écris et publies.
https://alainx3.blogspot.com/2024/10/ecrire-linstant.html
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Jeudi 10 Octobre à 11:33
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Je découvre ton blog par le biais d'Alain. Je l'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt. J'ai bien aimé cet article.
Si tu as conservé les morceaux de bol cassé, tu peux les recoller. Ça donnera le kintsugi, l'art japonais de réparer en sublimant les cassures.
Tes photos m'ont émerveillée, c'est tout ce que j'aime. Bravo !
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Jeudi 10 Octobre à 16:37
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Il parait que l'important, c' est le sommeil paradoxal !
Il est vrai que lorsqu'on se réveille dans la nuit, les pensées se bousculent !
On ne s' habitue jamais aux retours des enfants, et ça ne va pas s' arranger avec les années !
Je suppose que de leur côté aussi, ils se posent des questions !
à propos de Michel Blanc, j' ai trouvé qu' in n' échappait pas à la règle qui veut qu'une fois mort on porte plus d' intérêt qu'en vie !
ah, les prises de sang sont passées de la crainte au déplaisant !
En ce moment ça y va, y compris doppler, échographie, scintigraphie et autres joyeusetés !
Comme tu vois ton exemple ramène aussi à soi !
Depuis que j' ai vu un mendiant jeter le sandwich tendu par ma mère, je ne regarde plus la misère provocante !
Passe une bonne journée
Amitié
Oui, paraît ...
Non, pas moi, mais parfois je me retourne beaucoup avant de re-sombrer ...
Je ne comprends pas ce que tu veux dire à propos des enfants ...
Oui, les morts sont souvent plus "célèbres" que de leur vivant.
La médecine en général, au fur et à mesure que l'on vieillit, peut-être de plus en plus lourde ... même si, comme dirait "l'autre", si t'es malade, c'est que tu es encore vivant ... mouais, courage, je compatis !
Mais oui, c'est normal que ce que j'écris suscite des commentaires quand il y a une résonance personnelle ...
Je ne donne pas systématiquement (le pain et autres nourritures jetées, je l'ai vu faire par des voilées gare St Lazare) ... et j'avoue avoir été étonnée de voir un mendiant de mon quartier s'acheter des jeux à gratter (même si je peux comprendre que cet argent, il a le droit d'en faire ce qu'il veut) ; j'ai vu à ce sujet un jour un reportage à la télé où un mendiant disait qu'il voulait des sous, pas de la nourriture qu'on choisit à sa place ... enfin, un copain s'est fait apostropher d'un "c'est tout ?!" car il ne donnait "pas assez". Perso je fais à l'émotion du moment, sans réfléchir trop.
Merci et passe une bonne journée.
Amitié.