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éKlats 47/52 - 1
Le petit bouquet est, quand j'ouvre mon sac, tout froissé-recroquevillé. Mais point de lunettes à l'horizon. Je ne m'en offusque pas vraiment, à l'inverse de la réalité. De toute façon, ma vue est plus clairvoyante, ce qui m'étonne, qu'à l'ordinaire. Et puis, si c'est pour découvrir les pauvres vieilles cabanes, masures défoncées mais belles quand même par leurs couleurs chatoyantes ... et puis ... et puis je me réveille.
Depuis quelques jours, j'ai un mal fou à m'endormir. Hier soir, j'ai ouvert en grand la fenêtre dès l'aurore de mon insomnie : est-ce grâce à ce flot du rythme des ténèbres qu'enfin, ramassée en boule sous couette et couverture, comme en un linceul vivant, j'ai enfin sombré dans le repos ?
On peut rester des semaines sans se croiser et ensuite se voir en peu de temps à chaque détour de porte d'immeuble ou d'ascenseur.
Hier, c'est dans la salle d'attente de la toubibe que je tombe sur Toinette. Bien sûr, on se met à piapiater et rigoler comme des malades (ce qui, chez le médecin, est assez raccord). Des vraies pies-jacasses. Son rendez-vous est juste avant le mien. Quand elle disparaît derrière la Boulangère, je me tourne vers ma voisine de siège en lui demandant si on ne l'a pas dérangée. Au contraire, me répond-elle, ça me fait tellement plaisir de voir des gens heureux, moi qui suis si triste et seule. Surtout, continuez de vivre comme ça. Ces paroles me bouleversent. Comme quand je sens de la souffrance prégnante, j'ai envie de prendre la personne dans mes bras pour communiquer quelque chose de l'ordre de l'amour et du partage. Bien sûr, là, je ne le fais pas, mais nous engageons la conversation. Elle me raconte son histoire, la mort de son mari dont elle ne se remet pas, sa solitude, son enfermement dans son grand immeuble. Une sorte de recluse, mais involontaire. Je ne parle à personne, je ne sais pas, et je n'en ai pas envie, je ne sais pas faire. Je souris. Mais si, vous faites quoi d'autre, là ? Elle sourit à son tour. Je lui demande : Vous avez un travail ? Elle me répond que oui, alimentaire ... dans la restauration justement. Mais, ajoute-t-elle, moi mon rêve, ce serait d'avoir un métier en rapport avec la psychologie. Holistique ! Je n'en reviens pas des hasards de la vie. Moi qui suis mère d'une aînée qui pratique, entre autres, la thérapie holistique, je tombe sur cette femme ! Elle se livre, me raconte des signes, des rêves ... Je suis confondue par ce hasard-là, et j'ai de la peine à la quitter, j'aurais pu continuer à parler longtemps avec elle ; je ne peux m'empêcher, au moins, de poser ma main sur son épaule. J'ai la sensation d'avoir vécu un moment isolé mais important. Et eu envie de lui demander ses coordonnées, mais je n'ai pas osé, j'ai craint d'être intrusive. Trop.J'ai pensé à Agnès Varda et à ses glaneurs glaneuses. En passant près de la fin du marché, une poubelle était remplie, surmontée d'un carton retourné, couronné d'une splendide salade. Je n'ai d'abord pas osé la prendre, et je suis revenue sur mes pas, c'était trop bête, pour passer prendre la verdure (sans Tanguy, vous vous souvenez ?) ;-)
Non mais sans dèc, quelle idée de jeter ça ? Même pas abîmée. Pas compris, mais pas perdu pour tout le monde. Encore, ça, c'est trois fois rien (ce qui est déjà quelque chose) mais quand je pense au gâchis généralisé je ... non, je vais encore m'énerver, y'a des sujets plus graves, quoique ça l'est, aussi, grave.
Et justement, une nouvelle grave me tord les tripes alors que je suis sur cette page : il semble qu'on soit sans nouvelles de Boualem Sansal, l'écrivain algérien-français pour qui j'ai une grande admiration : sa clairvoyance, son intelligence ... Comme il lutte contre l'islamisme, on peut craindre le pire ! Et je pense, une fois de plus, à tous ces êtres supprimés par la barbarie nazislamiste. Pourvu qu'il ne soit pas mort. Torturé. Les deux. Je suis plus qu'inquiète. Je sais, ça fait bizarre de passer de ma salade à l'ère des assassins, mais c'est la vie, cette juxtaposition du léger et du drame. Je pensais à ça aussi en regardant un reportage où je (re)découvrais que pendant les guerres, des évènements, même culturels, avaient lieu, comme si des vies, des mondes parallèles oxymoriques pouvaient exister dans un même endroit, un même temps. La guerre pour moi, horrible, dans mon esprit écrase tout de son couvercle noir mortifère ! Comment penser à autre chose quand on y est immergé ?Revu avec plaisir "Maigret tend un piège", vieux film en noir et blanc, avec Gabin et d'autres comédien(ne)s mort(e)s depuis mais que je me rappelle si bien, avec ses lenteurs, ses belles gammes de gris, ses vues de Paris à l'époque (1957), ses si bons dialogues d'Audiard. Rafraîchissant. Jouvençant. Pour un peu, je me le regarderais encore ...
La plupart des gens ne l'aiment pas, moi si. Parce que l'automne, c'est l'endormissement léger mais froid dans des couleurs encore chaudes ... en plus, ce matin, c'était aussi une sorte de printemps abstrait, avec ces grosses fleurs de neige qui s'accrochaient aux branches et à l'air (de rien), dissoutes avant le sol.
Je suis allée au pilates dans la joyeuse tourmente de ces flocons floraux qui m'effleuraient dans leur vol fou. Je les ai senties qui dansaient la valse autour de moi, et ça m'a fait rire.
Et puis en ressortant, ça voletait encore, mais ça se déposait quand même un peu, jusqu'à fleurir les coroles inversées des poubelles.Je suis rentrée trempée comme une soupe, m'a toujours fait rigoler cette expression : faisons perdurer ces vieilles images ! Bien à l'abri et au chaud, me repaissant sans lassitude du ballet incessant de ces larmes divines, j'ai plaint les pauvres errants encapuchonnés marchant lentement, tête basse, comme oppressés par quelque poids invisible.
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