• La petite fille *

     

    AVEC LE TEMPS (29)

     

    *  orange

     

    C'était ... c'était il y a longtemps. Une vie, on peut dire. Presque chaque matin, je pense à elle. A elles, au pluriel, devrais-je dire, car dans mon esprit, les deux histoires se superposent. Se fondent. Celui de la petite fille au tablier orange, à l'école. Et celui de la petite fille de la télévision. Qui était l'héroïne d'un court métrage et se préparait pour aller en classe. Derrière elle, peut-être en voix off, un adulte la poussait à accomplir chaque geste avec minutie. On lui fait comprendre qu'il ne faut pas aller à l'école avant d'avoir fait tous ces gestes, et la gamine s'exécute avec bienveillance, obéissante et confiante.
    La chute du film est étrange et en décalage troublant avec ce que mes yeux d'enfant (j'étais très jeune quand je vis ce film, et je me suis toujours identifiée à cette enfant-là) et mon esprit attendaient : la petite fille, tablier soigneusement noué, souliers cirés, sort enfin de la maison, fière d'elle et de son apparence, et comprend que le bus scolaire est parti, parce que ses préparatifs l'ont mise en retard.
    La séquence s'achève sur son visage, habité par le doute et un sentiment poignant d'injustice, celui-là même que je ressentis en la regardant alors. Et ces images ressemblent à un rêve, un rêve éveillé oui.
    S'y superpose une seconde, celle de cette petite fille qui, pour moi, a le même visage que l'autre, et qui arriva dans la salle de classe quelques jours après la rentrée. Je ne sais plus, alors, ce que lui dit, ce que nous dit d'elle, l'institutrice. Peu de choses sans doute. L'enfant avait l'air absent et mystérieux. Comme nous quelques jours auparavant, elle se retrouva devant un tableau noir, à tracer avec peine, des rangées de bâtons.
    La petite fille portait un tablier orange. Nous avions quatre ans.

      


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