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AVEC LE TEMPS (27)
Souvenirs*
© L'oeil du Krop
*de quand j'étais plus jeune
Je suis ancrée dans le passé, dans mon passé ; je suis ainsi, c'est comme ça. Il m'habite, il me nourrit. Ce n'est pas de la nostalgie, c'est de la reconnaissance. Pour tout ce qui a été, qui m'a faite, et qui n'est plus. Pour tous les coeurs qui ont battu près de moi. Les têtes qui ont partagé avec moi. Les visages qui ont souri quand ils me parlaient. Et aussi, peut-être, pour ces moments, si présents, où je me demandais comment ce serait, après, plus tard. Des années plus tard. Ce double regard, avant, maintenant, m'a toujours causé une sensation étrange et importante. Comme si je me dédoublais sans folie. Que je comptais les écarts. Que je mesurais ma vie en somme. Et à travers cet outil dont on se sert aujourd'hui, cette Toile tentaculaire, opaque, ubique, nous offrant des petits bouts de chemins de vie des uns et des autres, je glane parfois des morceaux de mon passé. Ça me prend certains soirs, certaines nuits. Je tape les noms de tant de gens que j'ai cotoyés ... Je retrouve ici et là d'anciens visages d'enfants que je reconnais à travers leurs rides et leurs regards fatigués. Je suis attendrie, étonnée de les revoir. J'en cherche parfois d'autres en vain, il y en a qui passent à travers les mailles du filet. Il y en a qui veulent, qui savent rester invisibles. Enfin, certains, on n'est pas très sur que ce sont vraiment eux. Les infos sont minimes pour un nom qui n'est pas si rare ; la région a changé, alors comment savoir. Après d'autres, j'ai inscrit son nom, comme je l'avais déjà fait. Me disant que c'est mouvant. Glanures. Et puis je suis tombée sur ça. Là, il n'y avait plus de doute. D'autres lieux, d'autres noms étaient cités. Et tout se recoupait. J'ai eu un choc. J'ai revu un instant nos courtes discussions habituelles dans le train qui nous emmenait travailler dans la même ville. Comme c'est loin et comme ça fait longtemps. Je t'ai revu, lisant beaucoup, dans ce même train, avant qu'on parle de ce qui se lisait, de ce qui s'écrivait. Je t'avais retrouvé sur la Toile, et tu y étais épinglé dans un récent avis de décès.
Michel Drosne, que l'éternité te soit douce.
Tags : Michel Drosne
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Commentaires
Une note touchante. Moi c'est le contraire, je ne suis pas ancrée dans le passé, j'ai plutôt la sensation de le fuir. Mais parfois il me rappelle. La semaine dernière j'étais en Lorraine pour un repas entre copains d'enfance, ayant fréquenté la même école primaire ! Ca ne date pas d'hier quoi. Ca fait tout bizarre, certains, certaines plutôt, que j'ai reconnus au premier regard, et d'autres que j'avais totalement oubliés... Et dont je ne me souviens toujours pas à l'heure actuelle, en dehors du nom, très vaguement.
Merci à vous.
Conceptions différentes.
J'adorerais revoir les connaissances anciennes, mais pas tant de l'école primaire - encore que, quelques-un(e)s, si - que du collège ... Même si je n'ai rien à leur dire -et lycée de Versailles :-) - oui, j'aimerais bien ...4Sophie L.Mercredi 6 Novembre 2013 à 20:37Ton texte est très émouvant. Et j'aime l'idée de tous ces sourires, tous ces regards, qui ont fait ce que nous sommes. Et qui tissent la toile de la vie.
8phedreMardi 24 Juin 2014 à 21:19je viens de "tomber" sur votre texte.c'est remarquable.j'ai travaille plusieurs années avec Michel Drosne. C’etait une personne avec un humour redoutable et une finesse d'esprit remarquable.et oui que l’éternité soit douce...
Instant émotion du coup... Mon inconnue à moi, je n'ai même jamais su son prénom...
Du coup, qu'est elle devenue... Impossible à savoir...
Mais même des années après, son regard, son sourire timide me hantent... Rien de malsain ni de déplacé dans mes sentiments et mes pensées. C'est juste l'attitue d'un mec trop timide pour engager la conversation mais qui aime trop les gens pour les oublier...
Tes mots sont si beau...
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Vendredi 9 Décembre 2016 à 14:33
Je peux comprendre ce que tu ressens. De ces voyages et de ces partages que nous eûmes, je pourrais écrire des pages et des pages, et il y aurait même matière à roman : ce ne sont pas des échanges qui ont duré -quelques mois- mais ce fut une histoire forte. Beaucoup de transports se font dans les transports. Beaucoup de regards se partagent, beaucoup de non-dits se disent ... et quelques regrets s'inventent, aussi.
J'espère que je n'ai pas trop bousculé ton coeur sensible avec ce souvenir.
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Témoignage de sagesse.