• Chronik

    Journal de personne. Journal d'une personne.

    Journal

    2021, octobre, dimanche 10.

     

        Ça pourrait commencer aujourd’hui. Pourquoi pas aujourd’hui. Il est grand-temps … si loin soit-elle, la mort est plus proche de moi qu’elle ne le fut jamais, à chaque instant, avec l’âge. Truisme. Alors pourquoi un journal, une chronique, là, aujourd’hui ? Je ne sais pas. Parce que peut-être au réveil, je n’ai pas vécu cette journée comme une autre. Peut-être parce que, ce qui n’arrive jamais, j’ai ouvert les yeux à presque midi, ce qui n’est pas une raison même en se couchant à deux heures. Peut-être parce que mon corps m’envoie des signaux d’étrangeté et qu’avec naïveté et compassion envers moi-même, j’ai voulu, je veux, laisser une trace, aussi vaine soit-elle. Après tout, la vanité n’est-elle pas une des constituantes primordiales de l’être humain ? Une drôle de façon de se vouloir exister mieux ou plus fort, du moins le croit-on. Au vu, au senti, de l’univers, nous ne sommes rien, même si nous resterons immortels sous forme de poussières, de particules, à jamais envolées dans l’infini, jusque après et alors même qu’il aura explosé. Le vieux truc pascalien de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Oui, je veux laisser ma trace, délébile sur un fil d’encre, de mes peurs, mes colères et mes amours petites ou grandes, celles du quotidien des êtres mais aussi des choses.
             

        Découvrir l’heure sur mon réveil au matin a sans doute collé une mimique hagarde sur mon visage. Je sortais d’une nuit peuplée de rêves, comme d’habitude, et la réalité me cueillait avec plus d’incongruité encore que celle de mes songes. Quatre appels en absence m’attendaient comme si on s’inquiétait pour moi. Est-ce qu’on ne fait ça que pour les vieillissants ? J’ai repensé à ce coup de fil immobile et vide à un père que je ne parvenais pas à joindre, loin, de tout, de mon logis, et de mon cœur aussi peut-être. Et ça s’était terminé à distance par les pompiers le retrouvant à terre au sous-sol, malaise du début rapide de sa fin dans le fleuve du mauvais alcool, quand on se sent devenu inutile après la mort d’une épouse et qu’on se laisse, abysses, couler dans chaque verre après un autre verre, sans que lesdits proches s’en aperçoivent.   
      

        J’ai envoyé des messages succincts pour dire que j’appellerais plus tard et bu mon café, ressassant un peu le dîner de la veille avec notre troupe théâtrale, jetant un œil sur le début d’un livre échoué là, sur le canapé, "Moderato cantabile". J’ai lu tout haut, ça y ressemblait, précisément, à du théâtre, il y avait des dialogues, des gestes que j'imaginai, des grimaces que je tentai de structurer en pensant aux cours que j’allais bientôt reprendre. J’ai allumé la télé et commencé à regarder un "replay"-arte sur le comédien Bernard Blier, qui a d’abord parlé de théâtre, encore - j'avais l'impression de dévider une pelote - puis de cinéma. J’avais envie de marquer une pause toutes les minutes et de noter ce qui se disait. Tout me paraissait important et déposait une empreinte dans ma façon d’appréhender ce jour nouveau qui me commençait. C’était tellement épais, dérangeant et fort que j’ai fermé, envahie, souhaitant y revenir plus tard, quand toute la bonne lie se serait déposée au fond de ma bouteille, restituant sa lumière à mon vin.

     

    Texte : La plume du Krop ;  photo : L' Oeil du Krop.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 11 Octobre 2021 à 08:42

    t'y vas fort là, et pourtant qui de nous ne s'est pas penché un jour donné sur cette question bien humaine du temps qui passe  ? 

    La mort peut nous surprendre à chaque instant et pourtant nous veillons à vivre comme si plus on avance et plus elle s'éloigne ... je m'espère encore dix ans, mais ce n'est qu'une espérance, donc je veux laisser des traces de mon passage ici chez les vivants, j'ose écrire pour la postérité pensant (et espérant) qu'elle me lise ...  quand je serai morte que m'importera qu'on m'oublie ...

    c'est donc bien une "preuve" de vie que de penser la (sa) mort ....

    allez courage pense à la belle soirée vécue entre amis qui t'a fait te lever tard !

    amitié .

      • Lundi 11 Octobre 2021 à 10:00

        Merci Marie-Claude, pour ce commentaire et ta fidélité sur mes pages. Bah, je ne me penche pas plus que d'habitude sur le temps, c'est lui qui se penche sur moi de plus en plus lourdement, mais je ne parle pas, plus, de moins  en moins, même, je crois, de la mort avec peur, c'est juste qu'habitée par les mots j'ai peut-être de plus en plus conscience de mon envie de les déposer quelque part mais comme ça comme pour le reste je suis foutoiresque et ça part partout et dans tous les sens. Une canalisation de texte, un suivi demandent une patience, une bagarre contre la paresse que je mène bien trop peu souvent ; j'ai toujours manqué d'opiniâtreté, et j'en souffre, parfois avec une culpabilité, un égarement. Mais il me semblait qu'outre un certain de besoin de faire de la littérature, même à la petite semaine, cet élément de chronique portait sur la coïncidence de moments liés au théâtre, et à ce sentiment de décalage par rapport au temps, justement, qu'on a quand on sort de ses rails horaires, comme ce fut le cas, voilà.
        Merci, encore, pour ta force vive, et pour ta présence ici qui, alliée à d'autres choses positives du quotidien, me fait exister. Je t'embrasse. Amitié.

    2
    Lundi 11 Octobre 2021 à 12:41
    zalandeau

    Ce texte me plait vraiment... La vie rétrécit comme une peau de chagrin, sauf qu'on n'en connait la dimension initiale... Et donc qu'on n'en connait pas non plus la fin... Alors les détails servent de bouée...

    Très bonne journée

      • Lundi 11 Octobre 2021 à 12:44

        Contente de plaire ;-) ... Un grand merci et très bonne journée, oui !

    3
    patrick
    Lundi 11 Octobre 2021 à 18:41

    Une fois encore, ce texte est beau et je l'ai lu, re lu et re-re lu, en m'y perdant parfois , mais en retrouvant tres vite le chemin, le fil...le .. ? je ne sais pas , mais je ne m'y suis pas perdu. Le sommeil et La mort : un semblant de mort pour de faux et l'autre , l'Unique , pour de vrai, pour toujours .Savoir qu'elle est là, de moins en moins loin, avant d'être de plus en plus près, est déjà assez pénible, pour préférer souhaiter qu'elle arrive sans que je ne  la voie , sans la sentir faire son œuvre. Sans douleurs , même si on peut supposer qu'on sait qu'elles sont les dernières ? je ne sais pas, mais d'ailleurs ai-je vraiment envie de savoir ?

    Une mention toute spéciale pour le passage sur ton Père.... ces quelques lignes qui, sans un mot de trop, ni de mot manquant, décrivent cette longue glissade, avec concision ,  avec une  clarté parfaite et une précision millimétrée , avec une immense et redoutable  simplicité  , qui renvoient beaucoup de théories livresques et ampoulées, à un  rang proche du "pas grand-chose ".

      • Lundi 11 Octobre 2021 à 22:45

        Les commentaires que tu m'écris m'émeuvent toujours et je t'en remercie. Et puis, j'aime beaucoup la façon dont tu écris (et penses !) Oui, grand merci, pour tout ça.

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