1

    Décharger sa hargne, contre le monde, les humains pourris, les machines maîtresses, les accommodements avec le mal, le laxisme généralisé et le je-m’en-foutisme comme école de vie, comme profession de foi.      

    On est, sans cesse, plutôt que de changer les choses, obligé de faire avec, de s’adapter, de s’aplatir. Même les maladies, on lutte contre avant le stade final, on ne s’adapte pas aux métastases, on tente de toutes ses forces de les éliminer. Le monde est métastasé par l’argent, le pouvoir, le profit, l’irrespect, la violence, le mal. Et on devrait, plutôt que de lutter, rester esclave de tout ça ?!

    C’est vrai depuis que le monde est monde, pourquoi ai-je l’impression que c’est pire ? Parce qu’on le voit plus ? Parce que nous sommes plus nombreux de jour en jour ? Parce que la bêtise crasse s’institutionnalise et que toutes les bonnes volontés du monde finiront par s’épuiser et s’enliser dans le marais sans fond de l’absurde ? Le sentiment d’impuissance face à ce qu’on nous force à prendre pour de l’irréversible me file la gerbe.    

2

    Samedi, alors que j’écris sur l’ordi, un message subit m’indique que je n’ai plus de connexion. Panique ! Oui, je panique toujours quand j’ai un pépin matériel : sensation intense de perte de contrôle, de perte tout court ? Tant, même si je m’améliore, que cela doit relever de quelque pathologie intime.    
      
     Tant bien que mal, je parviens à discuter avec un robot, puisque c’est fini, on ne parle plus à des êtres, mais à des machines, et même au bout du bout de la question, quand on a "bien" tourné, on n’a pas forcément un conseiller de chair et d’oreille (perso je trouve ça terrifiant –ça s’appelle la communication moderne-) … non,mais Big unBrother me demande de taper 1 si ceci, 2 si cela etc. … gagné, ça correspond à ce que je vois sous mes yeux … nous tentons de réparer à distance, me "dit-il" … Au bout de quelque temps, on me fait savoir –par sms sur mon téléphone- que ma panne requiert un technicien à mon domicile, et que je dois suivre le lien en fin de mess pour prendre rendez-vous … en ligne !   
   
    Oui, par mon téléphone donc, puisque de ligne, je n’en ai plus sur mon ordi. Sauf que mon téléphone, ben il n’a pas internet : c’est un vieux nokia encore assez valide pour me contenter d'en recevoir et donner quelques appels, recevoir et envoyer quelques sms, cela suffit à ma vie (mais commence à me causer des problèmes récurrents). Alors au s'cours hot line fille aînée à distance (merci pour ta patience inouïe) à qui je dicte le code du lien (I ou l : i majuscule ou l majuscule, sais pas, mais de toute façon ça ne marche avec aucune des deux propositions). Pas grave, dit-elle, on va passer par ton compte abonnée … tu vas me donner ton identifiant, ton mot de passe … mon sang ne fait qu’un tour ... mais si ! je les ai ... pas la peine d’en rajouter non plus !    
Rendez-vous est pris … pour le lundi après-midi.   
         
     Jusqu’à ce moment, je mesurerai combien j’ai besoin, pour mes habitudes –dans mon appartement, ailleurs, en être privée ne me dérange nullement-, mes rituels, mon confort psychique, donc, de mon ordi et de ma télé.

 3

    Le technicien me fait le plaisir inattendu d’arriver en avance, ce qui m’évite le désagrément inquiet d’un inconfort supplémentaire, celui de l’attente. Je l’accueille d’un facétieux "voici mon sauveur!" qui ne lui provoque pas la  moindre  réaction : le monsieur sera quasiment mutique pendant qu’il sera là, et même quand il parlera, aucune émotion, aucun sourire ne seront visibles. Il montrera même ce que je perçois comme un léger agacement quand je lui proposerai une boisson.    

     Il regarde mon installation et constate que ça ne vient pas de chez moi, mais de l’immeuble, et je l’accompagne au parking, où se trouve le boîtier concerné. Le spectacle est une désolation, ce qui, comme le reste n’a pas l’air de bouger ses traits plus que ça.

    Il m’apprend que le fil (de fibre optique) de ma ligne a été sectionné : il mamaille et dit que voilà, c’est fait. Quoi donc ? Ben il a soudé et c’est bon. C’est tout ? Oui. Je lui demande que faire de tout ce vrac, comment refermer. Il ne veut toucher à rien, il a peur d'abîmer quelque chose -ricanement intérieur de mézigue... plus que ça ?!!- et puis ce n’est pas à lui de faire ça mais aux techniciens qui ont installé le boîtier. Je me résigne car je ne sais comment argumenter, sinon que rien n’est protégé et que … et que j’ai bien l’impression qu’il s’en fout comme de son premier combiné en bakélite.   

     On remonte et il réinitialise.  Vérifie sur la télé que ça fonctionne : c’est le cas. Je regarde sur l’ordi, qui n’affiche toujours pas internet. Il m’affirme qu’il suffit que je le redémarre et que ça va fonctionner, au revoir madame. Il a un pied vers la sortie. Je lui demande, puis le supplie presque d’attendre pour vérifier. Il me rassure mollement m’affirmant que ça va marcher puis finit par se rendre résigné à ma demande de plus en plus insistante. L’ordi n’en finit pas de redémarrer, et victoire, finit par afficher internet. Je le remercie. Il s’en va. Je suis épuisée.

4

    Je fais beaucoup d’allers et venues dans l’escalier. Faut dire que depuis plus d’une semaine, l’ascenseur (vieux de … deux ans) est (encore) en panne, ce qui lui arrive de temps en temps, y compris avec gens bloqués parfois ; le travail (d’équilibrage, on entend toujours aux mêmes endroits des craquements !) a été fait façon gougnafier, je suppose. Ce coup-ci, il faut changer une pièce en commande, autant dire qu’on en a pour un mois, au bas mot. En face de l’ascenseur, je vois un type qui le regarde et je lui demande s’il vient réparer. Que nenni, c’est pour les courses. Le pauvre, il va devoir monter un paquetage, que je ne vois pas, sans l’aide d’une élévation mécanique pour lui faciliter la tâche.

   Dans la journée, je descends plusieurs fois, je vois le même jeune dans l’entrée et je m’inquiète de son immobilité, son inaction. Je lui demande si je peux l’aider en quelque chose, mais il m’affirme que non et que tout va bien. Je ne comprends rien. Je le verrai plusieurs fois ainsi, jusque dehors, nuit tombée. Mais quand je rentrerai du cours de théâtre, il ne sera plus là … à plus de 22h, quand même !

    Le lendemain, je le remarquerai, toujours dans le hall, à faire le pied de grue. Et lui demanderai à nouveau ce qu’il fait là. "C’est pour le protage", bredouille-t-il. C’est ce que j’entends. Le quoi ? Et tout à coup j’ai une illumination. Et je rétrospective : quand ils ont changé l’ascenseur, et qu’on en a été privé des mois, ils, je ne sais pas qui, la gestion de l’immeuble je suppute, avaient engagé quelqu’un pour aider les gens qui escaladaient, à porter (le portage, donc, le mot non reconnu) des charges trop lourdes (d’autant qu’il y a quelques vieux) … du coup, quand je suis revenue de chez Picard, j’ai compris pourquoi il m’a demandé si mon sac était  lourd ! … Brèfle, il est là pour aider, mais on ne l’appelle pas quand on a besoin de lui, nonnon, non, il reste là toute la journée "au cas où" quelqu’un aurait besoin de lui ! Vous le croyez ça, ben moi ça me laisse pantoise !

5

    Picard, vous savez, ces surgelés pratiques quand on se sent feignasse à cuisiner ou qu’on veut avoir des produits de base d’avance, justement, pour cuisiner (j’ai un faible, j’avoue, pour leurs galettes de pommes de terre, et leurs côtes de port marinées au thym et romarin), j’y suis allée, comme j’vous disais. Parce que c’était le dernier jour pendant lequel on pouvait avoir une ristourne grâce à nos points (je ne savais même pas que j’en avais !) Je passe à la caisse, et je demande comment faire. La jeune fille me répond que ce n’est pas elle qui doit faire, mais moi (ça y est, encore un truc qui va me mettre en rogne !) sur mon appli téléphone. "Ah damnation et pommes pourries !" mais j’ai un téléphone de dinosaure sans internet, je ne l'ai pas changé depuis tout à l'heure ! Or, un téléphone du style demandé, elle en a justement un sous la main, et même à la main, et je lui demande la bouche en cœur si elle ne peut pas faire l’opération pour moi. Magnanime, elle accepte … et me demande mon mot de passe. Mon mot de passe de quoi, j’ai un mot d’passe pour Picard moi, ben v’là aut’chose. Alors désolée, elle ne peut rien faire. "Si, vous appelez le service conso, je vous le marque, ils pourront sûrement faire quelque chose". Il est presque 19h, je doute. Arrivée à la maison, je constate un dysfonctionnement notoire au logis, mais je vous dirai après, pas tout à la fois. Je contacte donc ledit service glacé-glaçant, j’attends, et j’attends, et je recommence, pour finir par m’entendre dire que les lignes sont très encombrées, mais que je ne m’inquiète pas, les personnes n’ayant pas pu les joindre verront leurs points reportés. Bon, on verra.

     L’autre problème (pfff !) maintenant.

6

    Non, vous n’allez pas me croire … mais le dysfonctionnement sus-évoqué est le suivant : l’ordinateur affiche un message m’apprenant que je ne suis plus connectée. ENCORE, un jour et demi après la première fois ?!! Je prends sur moi pour ne pas pleurer, avant de connecter le service idoine, qui comme la fois d’avant etc. etc. Mais je ne reçois pas de lien, ptêt qu’ils ont compris que ça ne servait à rien. Bon, faut que j’aille sur mon site d’abonnée. Allô Léonie hot line. Pas dispo ma fille, mais je comprends, elle n’a pas le téléphone rivé à son oreille en attendant que mamounette l’appelle au secours. Bah, on parvient à se joindre un peu plus tard, et rendez-vous est pris (ah, cette sensation de déjà vécu !) pour mercredi 11h-13h.

7

    Bon, ce jour le technicien n’est pas en avance, et, dans la fourchette prévue, une délicieuse (sans ironie) hôtesse Free m’appelle pour me prévenir de son retard. "Après 13 h donc", dis-je, "non plutôt vers midi et demie", rétorque-t-elle ... euh, mais en fait il est … en retard sur son avance en somme … je ris. Aucune importance, l’heure, je ne bouge pas ! J’en profite pour lui raconter mes malheurs, m’épancher, sans parvenir, apparemment, à la soûler (sont bien entraînés à être aimables, ça fait plaisir !). Et je lui fais remarquer que c’est si bon de parler à un être humain plutôt qu’à une machine ! Ce qui m’arrive, affirme-t-elle, est exceptionnel (par deux fois, mon karma me montre quelque chose ?) … pourvu que pas jamais deux sans trois, pensé-je.

    Le technicien se pointe. Ce n’est pas le même que la fois précédente. Au moins, il me sourit, c’est déjà ça.  Bon, rebelote, escaliers, parking. À l’inverse de son collègue, il est estomaqué par ce qu’il voit, dit que les gens sont fous (je suis d’accord avec lui). Me flanque la trouille en me disant espérer que mon fil n’est pas abîmé à la racine, car dans ce cas-là, madame, c’est mort, faut changer le connecteur.

    Il mamaille, tripote les fils, m’explique, le plus pédagogue possible, que ça c’est le raccord à ceci, et cette partie-là free, j’écoute, j'essaie "d'enregistrer les données warf". Il coupe, pour que la soudure se fasse dans les meilleures conditions. Il est méticuleux, passe beaucoup plus de temps que son congénère.

    La soudure fonctionne, apparemment, ouf ! Il s’applique à tenter de protéger mon fil violet dans la bobine de tous les fils, m’affirme qu’il n’a pas droit de faire plus, car le boîtier, ce n’est pas eux, et il y a des procédures strictes ! Je lui demande si c’est un acte de sabotage ? Probablement, mais pas stricto sensu, il penche plutôt pour des techniciens soit incompétents, soit … soit quoi d’autre d’ailleurs, qui (mais quid du début des choses), pour servir la ligne de quelqu’un, la pique sur celle d’un autre qui lui, du coup, en est privé, alors qu’il suffit de prendre à un autre endroit du boîtier sans emmerder autrui (il m’affirme que certains débutants ne savent même pas faire !) C’est encourageant ! d’autant que j’ai vu que d’autres fils (Free ? oui, me répond-il … je lui dis qu’un concurrent veut saboter leur boîte !) étaient coupés, donc, si un incompétent vient réparer celles-là, il peut encore couper la mienne. Il tente de m’épargner en me disant doucement mais il le dit quand même, que ce n’est pas exclu.

     On remonte, tout fonctionne, je suis sauvée à nouveau, pour longtemps ? Et je me demande jusque quand va "fonctionner" la loi des séries et ce qui va lâcher à présent : la pièce-clapet-produit-lave-vaisselle m’est restée dans les mains, le lave-linge couine, mon téléphone a bugué avant de redémarrer après un temps que j'ai trouvé long, un caillou a atteint le pare-brise de SA voiture neuve ce jour, brisure étoilée.      

*

     Ça n’est que matériel et pas vital, tous ces ennuis, et il y a bien pire sans chercher loin, mais quand même, c’est comme les piqûres de moustiques (géants) : on n’en meurt pas mais ça devient très vite insupportable. Surtout pour les peaux fragiles ?