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    Les seuls bleus

     

    Bleus

     

     

         Ceux que j'aime et que toujours j'aimerai, ce sont ceux de la mer et du ciel. Quelquefois, l'air a cette couleur. De légèreté. De presque transparence brillante, palpable, vibrante ; vivante. 
    Pourtant mon bleu est bien souvent trop loin, encagé, cerné par la lisière des souvenirs. Un carré, comme un cadre qu'on dessine avec les doigts ... on le faisait, enfant, quand on jouait à prendre des photos sans appareil. Un cadre pour limiter l'océan à sa main, le retenir ... retenir la marée, le sable. Et même le cri des oiseaux.
    Une envie furieuse me prend de descendre ces marches, de pousser les murs de l'image. Le pont n'est pas très loin, pour le regard, juste en face. Il faut le deviner. Il faut savoir qu'il est là. Qu'imagine-t'on d'un lieu à travers une photo, qu'imagine-t'on de l'espace qui le cerne ? De sa respiration ?
    Il n'y a pas si longtemps, dans la rue bordant cet azur sombre, on pouvait passer en voiture, se garer en face de l'eau, s'asseoir et regarder. Travaux. Sans doute la prochaine fois, ce sera joli et propre et piétonnier, mais ça changera les anciennes images, celles de quand on allait encore au Homard bleu, celles où je regardais les maisons de cette rue-là, en m'imaginant que je pourrais habiter l'une d'elles, ouverte sur la plaine marine.
    En fermant les yeux, je sens le sable mouillé bleu crisser sous mes pieds nus et le vent décoiffer des cheveux que j'ai pourtant coupés. Pourquoi ai-je un amour si vif, si poignant, pour cet endroit, cette île qui n'en est plus une, puisqu'un pont la relie à la terre. Quelles idées je me fais qu'il ferait bon y vivre quand le temps des vacances doit y être insupportable pour ses habitants ? Que s'y passe-t'il qui me rive à ses rives et à ses rêves ? J'y vais quand les autres en repartent, parenthèse magique, chaque fois, en partageant avec Lui cet amour-là, aussi ; que fera-t'on quand, confrontés à la réalité d'autres quotidiens vagues, notre lieu inaltérable ne sera plus qu'un mirage ?

     


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