•                                         Le moratoire

     

     

    La plume du Krop

     

    Il était fort tard lorsqu’elle rentra. Calme, il patientait sur le canapé. La table était mise pour deux. Il l'avait attendue pour dîner. Cette attention lui fit plaisir –le partage et l’irrita à la fois : elle l’avait prévenu qu’elle n’avait jamais faim en sortant d’un cocktail, abreuvée un peu, nourrie assez, à la fois par les petits fours et par des conversations futiles mais qui dans certains contextes semblaient avoir du volume, simples baudruches pourtant, dégonflées subitement quelques heures après.  
    L’air était lourd dans l’appartement, malgré le ventilateur géant. Il lui demanda si ça allait et si elle avait faim. Elle réexpliqua, avec une certaine impatience. Alors il se fit une assiette froide et retourna devant la télé.              
    L’air était lourd et elle ne savait quoi faire de son corps. Elle était épuisée mais il faudrait bien qu’elle lui dise ; sans y parvenir jusqu’à présent.     
    Elle sortit sur la terrasse en espérant un air moins dense. La chaleur du dehors décroissait petit à petit. Elle s’étonna d’un beau ciel si cotonneux, si rouge, si mauve, si protecteur. Le ciel, les nuages, c’était mieux qu’un médicament, ça réconciliait avec le monde. Moins que l’océan, mais quand même. Ce vide coloré, cette ouverture infinie vers l’inconnu, ce domaine à rêver, à oublier, c’était si doux, si apaisant.               
    À travers la vitre, elle le voyait, tranquille, le verre à la main. Il sourit. Il ne la vit pas le regarder. Il semblait si loin du malheur. Si loin des questions, des problèmes, de ce qui ronge. Elle l’envia, détourna la tête.  
    Elle ouvrit la bouche, ouvrit la porte, referma les deux. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle lui dirait. Mais plus tard. Demain...

     

     


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