• Un matin

     

     Un matin

     

         Le bol de café est vide. Le geste courbe, je réchauffe mes mains à la chaleur que le liquide brûlant a conservée à la faïence. Immobilité. Mon regard est attentif aux images découvertes à la télé, qui déroulent un bout de vie de Van Gogh, époque Auvers-sur-Oise. Un des peintres idolâtrés dans mon adolescence. Un être torturé. Incandescent. Terriblement terrestre. Dévoré. Fou. Faudrait quand même bien qu'un jour je traîne mes guêtres jusqu' à ce grand village, histoire de voir, de sentir, peut-être. Même si la réalité de lieux, et même d'œuvres, se heurte bien (trop) souvent à la puissance de ressenti qu'on attendait d'elle. À Amsterdam, déjà, je ne me souviens pas du choc attendu si longtemps ; il est vrai qu'il est difficile de s'écouter penser au milieu de la foule des musées très fréquentés. Je me souviens quand même qu'alors, j'avais attendu le cœur battant de tomber sur la première œuvre, noire, celle-là, qui m'ait happée, et qui datait de la première époque : Les Mangeurs de pommes de terre. Sans doute, quelque part, ces pauvres gens qui se partagent un plat de patates et boivent du café m'avaient-ils ramenée à l'éternelle enfance, et dans cette famille lointaine polonaise de mineurs exilés dans le Nord, perdue de vue depuis, chez qui on avait passé quelques jours qui resteront à jamais gravés en moi, et dans certains de ces repas du soir, chez nous, à l'étage au-dessus des grands-parents, constitués pour partie de tartines et d'un grand bol de café au lait.

     

    Un matin

     

    « Gestion de stocksInterlude »

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    1
    patrick
    Mardi 8 Décembre 2020 à 11:35

    Encore un tres beau texte , plein d'accents de Vérité et d'une certaine tendresse .

    Notre Passé et nos Origines ne sont surement pas seulement des souvenirs .

    Sans doute sont-ils plutôt nos fondations, nos bases, sur lesquel(le)s on s'est tricoté nos personnalités propres, en laissant des mailles plus ou moins grosses, pour qu'il remontent de temps à autres.

    Et que dire de l'âge , qui distant ces mailles , un peu plus chaque jour...et finalement ne nous offre pas la conscience de ces réalités, a portée de pensée ....C'est quand même bien fait, non ?

      • Mardi 8 Décembre 2020 à 13:33

        Grand merci à toi,, cher Patrick ! :-) Beau commentaire (et très joli lapsus transparent que ce distant pour distend : j'ai souri ...) Et ... tu as raison, ce n'est pas mal fait du tout ... :-)

    2
    patrick
    Mardi 8 Décembre 2020 à 14:23

    désolé pour le lapsus calami...

     

    je  suis "hanté" depuis mars par cette abomination de Distanciation sociale, et  ça doit influer sur  l'écriture .

    Mais , après  réflexion, c'est peut être juste une connerie  de ma part.

      • Mardi 8 Décembre 2020 à 15:12

        Ne sois pas désolé, moi, ça m'a bien plu !
        Vaut mieux être hanté, qu'enté, du coup, en l'occ', warf !
        Euh, une connerie, ...mhhhm ? ... re-warf !

    3
    Mardi 8 Décembre 2020 à 20:46

    le Borinage n'est pas bien loin de chez moi (le centre lui colle à la peau) il y a vécu et peint  cette période noire de sa vie autant que celle de ses voisins   .. et je vis au milieu des restes de ce temps ... comment pourrais-je oublier ?

    amitié .

      • Mardi 8 Décembre 2020 à 23:36

        Ce nom, Le  Borinage, est effectivement le premier que je me rappelle quand j'ai découvert la vie du peintre :-)
        Merci.
        Amitié.

    4
    Mercredi 9 Décembre 2020 à 18:50
    daniel

    De Van Gogh au café au lait.....Les souvenirs vont et viennent et s'enchaînent parfois d'une façon inattendue !

      • Mercredi 9 Décembre 2020 à 21:16

        C'est vrai ! :-) Merci beaucoup Daniel.

    5
    Vendredi 11 Décembre 2020 à 11:57

    Superbe !! Egalement important dans ma jeunesse. Depuis, d'autres sont venus se rajouter, de tous horizons et enrichissent mes heures ! 

      • Vendredi 11 Décembre 2020 à 13:48

        Merci d'être passé, c'est gentil ... Et tu as raison, il y en a bien d'autre, de tous horizons.

    6
    Vendredi 11 Décembre 2020 à 15:03

    Je note la déception dans ce récit : tu t'attendais à trouver quelque chose qui ne venait que de ta sensibilité du moment où tu avais "vu" cette peinture. Cela ne m'est jamais arrivé, bien au contraire, mon admiration était intacte et peut-être même supérieure à ce que mon esprit avait découvert : voir en vrai la nature morte du Caravage (c'était une pomme sur une assiette) qui m'avait tant plue a été un moment inoubliable. Même aujourd'hui.

    En revanche ce que tu dis à propos du repas du soir me touche beaucoup : une réminiscence tenace de ce qui fut et qu'on regrette longtemps... Je ne suis pas de type nostalgique et c'est tant mieux : il y a souvent de la douleur selon les souvenirs qui nous happent à l'improviste. Il m'arrive de regarder en arrière, mais c'est surtout pour me souvenir des moments vécus dans la joie. Ce qui a été n'est plus, je préfère rester dns le présent et de jouir de chaque moment.

      • Vendredi 11 Décembre 2020 à 16:51

        Tu a dû remarquer que moi, je le suis, de type nostalgique. J'habite mon passé ; non que je le veuille, mais il est d'une présence en moi qui m'étonne toujours. Surtout l'enfance. J'ai le souvenir de moments vécus comme s'ils avaient été vécus hier. Avec souvent cette impression schizophrénique de grand écart mental : je me vois par exemple me projeter, enfant dans l'avenir, dans l'attente, et je me vois me voir à cet instant avec ce qui s'est passé après. C'est peut-être compliqué à comprendre mais ce m'est une impression familière (ptêt que c'est grave, docteur ! :-) ...)
        En fait, je crois que j'attends trop, et que du coup, la réalité est forcément en deça. C'est comme ça, ce n'est pas grave. Du coup, en art, les véritables extases que je puis avoir sont celles que me provoquent des œuvres dont j'ignorais l'existence : mon œil, et mon cœur sont alors vierges, devant, et je puis en jouir en toute ingénuité ! :-)

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :