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       Statue quo

     

    L'immobilité

     

    Il faudrait, il faut apprendre à se satisfaire des situations désagréables, et là, il ne s'agit pas de résignation (encore que) mais d'adaptation. Le salon était surchauffé, comme à son habitude. Plein sud, je n'y ai jamais ouvert le radiateur l'hiver ... alors l'été, plein cagnard dehors ... la télé était aux trois quarts en panne, et de temps en temps, en ouvrant au hasard, je parvenais à choper dix minutes d'une émission quelconque, à condition que ce ne fût pas un film, histoire de ne pas être frustrée, non, un reportage "arte", les harengs fumés dans une île de Scandinavie, un morceau de séminaire de Claude Lanzmann sur la shoah, quelques images rafraîchissantes photographiées sur un étang inconnu. Cela ne me satisfaisait pas, mais je m'en contentais ... bien obligée ... maudissant quand même cette époque de merde où la technologie nous gouverne sans qu'on ait dessus le moindre libre-arbitre quand on n'est pas technicien ... mais passons ... je revenais alors, le ventilo dans la gueule, à ma lecture du Caligula de Camus, dont j'avais oublié la teneur, et qui me remua ... Camus était un visionnaire oui, et entre le neuneu La liberté s'arrête où commence celle des autres, phrase dont je ne connais pas l'auteur et que j'ai toujours trouvée cucul par son angélisme ridicule, je préfère voir énoncer la vérité, même si elle est tragique, de "La liberté est entravée par celle des autres" (en substance) ... encore que ce mot même de liberté m'ait toujours semblé une vue de l'esprit ... la liberté ! encore faut-il la définir aujourd'hui : celle de tuer, ou dans une moindre mesure de faire comme si on était seul sans se préoccuper des autres, la liberté de faire du bruit, d'être impoli, de cracher, d'être heureux à tout prix, d'être malheureux à tout prix ... basta ! les épreuves philo du bac sont passées, et on ne va pas parler quatre heures là-dessus. Ah, une autre phrase, encore, chez Valéry : La liberté est un état d'esprit, citation écrite au tableau par Annie Girardot dans le film "Mourir d'aimer", il y a bien longtemps. Elle y campait Gabrielle Russier, qui n'eut d'autre liberté que de se suicider désespérée.
    Mais pourquoi m'égaré-je ainsi ... revenons dans mon salon pour le quitter. Côté nord, ma chambre est blanche et calme, contrairement à la nuit précédente où le carré d'habitations faisant caisse de résonance, je me décidai à deux heures du matin à m'enfermer dans la chaleur moite pour ne pas me faire réveiller tous les quarts d'heure, fenêtre ouverte, par des voisins pas tonitruants, mais parlant dehors, les sons directement sur mon corps endormi, donc ... non, là, un bruissement, juste le bruissement de l'air dans une chambre calme. Je m'allongeai avec un livre, Épépé, sorte de thriller linguistique ... Et je me mis, livre à la main, à fermer les yeux et me retrouver dans un demi-sommeil où, à part la vue, tous mes sens étaient, involontairement, à l'affût ... J'entendis ainsi des souvenirs très lointains, des moments en semi-attente, en semi-plénitude, entre veille et sommeil ... de ces moments de trêve complète loin des rongeures ou des tracasseries. Quel sentiment de paix, quel douceur et quelle sensation, soudain, de baume, de parfum subtil de protection. Rouvrant les yeux de temps à autre dans la pièce sans bruit, mon armoire me paraissait tout à coup étrangère, une sorte de cabinet de curiosités croisé dans une autre existence, recelant quantité de choses enfouies, oubliées ou inutiles... un peu à l'image de ma vie.

     

     


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