• Vingt-trois ans

     

     

    Vingt-trois ans

     

        Pour certains, le début de la vraie vie peut-être, pour d'autres, le souvenir d'un triste jour. Celui de ta mort.
    Tu me manques encore, petite mère. Bien sûr pas avec désespoir, mais avec à la fois une tristesse et une tendresse récurrentes. Des regrets aussi, même inutiles et stupides, de n'avoir pas été assez aimante, ou de ne pas te l'avoir assez montré, et dit.

        Bien sûr que j'enjolive, que j'ai souffert de ta surprotection : aimer, même trop, même mal, au point d'enfermer, d'angoisser. Soi-même. L'autre. Toi. Moi. Nous, tes enfants. Je ne te blâme pas de m'avoir causé de lourds chagrins, je me blâme de t'en avoir causés. Mais on fait comme on peut avec ce qu'on est. Et puis avec le temps on comprend pourquoi. On se met plus facilement à la place.

        Un souvenir funeste, c'est comme un caillou dans une chaussure, même s'il est poli, même s'il s'incruste pour faire corps avec la peau.

        Tes cailloux rapportés du Tréport ou d'ailleurs (tu m'as transmis cette habitude), je n'en ai qu'un souvenir lointain, en particulier ces énormes galets qui une fois arrivés, ont bordé certains parterres de fleurs. Après toutes ces années passées, je ne peux m'empêcher de rire en pensant au lourd monceau de cailloux, sous tes pieds, dans la Dauphine, en rentrant de vacances. Je ne les imagine plus. Quand ont-ils disparu, de la bordure ou de mon regard ? Quand nous avons vidé la maison, après la mort du père, aucun caillou, nulle part.

         Comme toi, mais maintenant avec plus de mesure, je fais la même chose, je ne peux fouler une plage sans rapporter quelque galet de forme étrange ou d'une couleur qui me plaît. Comment feront-elles, mes filles, à ma mort, pour se débarrasser du lourd fardeau, propre et figuré, de mon diogénique fatras, que pourtant je m'efforce d'alléger semaine après semaine ? Il ne leur faudra pas d'état d'âme, c'est tout ce que je leur souhaite. Mais j'aimerais bien avoir sur ma terrasse ce caillou, énorme, ramassé par toi un jour, et que la mer avait creusé, troué en son milieu, comme pour en faire un chas d'aiguille de géant, par où passerait un fil, des milliers de fils. De ceux qui tissent le vêtement qui habille la vie.

     

    « éKlats 26/52 - 2/3Interlude »

  • Commentaires

    1
    Vendredi 28 Juin à 08:57

    Des choses simples qui rappellent des souvenirs heureux ou tristes...La vie...

    Bonne fin de semaine

      • Vendredi 28 Juin à 15:11

        Oui, la vie ... Merci. Bonne fin de semaine.

    2
    Vendredi 28 Juin à 09:32

    La   mort    n'   est    souhaitable    que   lorsqu' elle   est    une    délivrance !

    Une    épreuve    que   de   perdre    sa   mère,   pour  nous,   et   nos   enfants,    la   grand-mère    étant   traditionnellement   plus " gentille "    que    maman !!

    Elle     aimait  les    anémones,    alors   j'en     mets   dans   mes   parterres !

    En  ce    qui   me    concerne    je   ne    vois   pas    comment   l' âme  pourrait    disparaître   en    même  temps    que    le   corps !

     Passe    une    bonne    journée

     amitié

      • Vendredi 28 Juin à 15:15

        La mort de ma mère lui fut une délivrance, car elle est morte d'une tumeur au cerveau. Même ainsi, le cap est difficile à passer, et s'installe un long chemin de souvenirs que je n'imaginais pas vivre, pas ainsi, avec autant d'amour ancré à jamais.

        Ma mère avait la main verte !

        Cette histoire d'âme me trouble beaucoup ... j'aimerais croire en tant de choses mais au moins, je doute un peu, c'est déjà ça.

        Merci et bonne journée à toi aussi.

    3
    Vendredi 28 Juin à 09:33

    quelle tendresse dans tes mots, il est possible que tous ces cailloux aient construit le pont de la mémoire, bien plus subtil que la lourdeur des pierres  ...

    et c'est beau !

    amitié .

      • Vendredi 28 Juin à 15:31

        Qu'il est bellement poétique, ton commentaire ! Et merci♥ !

    4
    Vendredi 28 Juin à 10:40

    Je repense souvent avec émotion à mes parents et j'ai du mal à comprendre pourquoi il fallait qu'ils disparaissent... Tant de questions n'ont pas été abordées, tant de "je t'aime" n'ont pas été dits... Même si la souffrance s'atténue, la blessure est toujours là...

    Très bonne journée

      • Vendredi 28 Juin à 15:33

        On regrette toujours quelque chose, mais il ne faut pas. On culpabilise toujours trop, et ne sommes pas assez indulgent avec nous-même, parfois ...
        Bonne après-midi.

    5
    Vendredi 28 Juin à 11:39

    Un bel hommage, garder les souvenirs heureux.

    Bonne journée.
    Bises.

     

      • Vendredi 28 Juin à 15:34

        Merci. Oui, les garder.
        Bonne après-midi.
        Baisers.

    6
    Vendredi 28 Juin à 22:09

    Il est des dates, particulières, que l'on n'oublie jamais... En reprenant pour nous ces choses simples, que nos parents, l'un ou l'autre, faisaient, eh bien, tout simplement, nous les faisons revivre en nous, et cela nous fait du bien.

    Bon week-end

      • Samedi 29 Juin à 00:01

        Merci !
        Bonne fin de semaine.

    7
    Samedi 29 Juin à 07:23

    Merci pour ce bel article!

    Maman me manque aussi, elle fut la tendresse même, "s'oubliant" pour ses enfants.

    Je ne l'ai sans doute pas aimée comme il aurait fallu..je continue en pensant souvent à elle...

    Bises du jour

    Mireille du sablon

      • Samedi 29 Juin à 08:16

        Merci beaucoup Mireille, pour ce commentaire à l'unisson du mien.
        Je t'embrasse.

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